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conserver des flacons-témoins, ou de faire l’épreuve de stabilité au cours des visites. L’erreur de la marine consiste à s’être entièrement liée à ces précautions accessoires. Elle l’a fait sur la foi des deux services compétens, celui des Poudres et Salpêtres, qui dépend du ministère de la Guerre, et celui de l’Artillerie navale qui représente auprès de lui le ministère de la Marine. Théoriciens les uns et les autres, ingénieurs et artilleurs suivaient le penchant résultant de leur formation d’esprit en s’efforçant de raisonner sur des entités homogènes et en tablant pour cela, faute de mieux, sur des moyennes. En particulier, la considération des températures extérieures et celle de l’épreuve par la chaleur devaient attirer toute l’attention des ingénieurs poudriers parce qu’ils sont des savans : elles ont, en effet, le caractère de données expérimentales exactement mesurables suivant les procédés de laboratoire. Ce sont choses qu’on peut chiffrer et traduire en formules. Elles mettaient aussi, il faut le dire, aux mains des poudriers des élémens précis avec lesquels ils pouvaient se lancer, dans la production et réaliser cette grande œuvre de l’armement nouveau qui nous a procuré pendant quelques années une indubitable supériorité militaire. Ajoutez à cela la tendresse naturelle de l’inventeur pour son invention, cette indulgence qui l’empêche de douter des qualités que d’autres, souvent des incompétens, discutent : vous aurez les raisons premières du malentendu entre le service des Poudres et les marins.

Ce malentendu n’aurait eu ni la durée, ni la gravité qu’il a prises si le consommateur et le producteur s’étaient trouvés en contact direct. Mais ils ne communiquent que par un intermédiaire, celui de l’Artillerie de marine. On conçoit aisément le respect des artilleurs navals pour les créateurs de la poudre B, pour ces bienfaiteurs du pays, pour ces savans, membres de l’Institut ou professeurs à l’Ecole polytechnique, qui se portaient garans de la poudre, comme MM. Berthelot, Vieille et Sarrau. L’Artillerie de marine, recrutée à Polytechnique, contenait une assez forte proportion de queues de promotions. Entre 1901 et 1910, ce malheureux corps se voyait en outre dans un état de désorganisation complet : le rattachement des troupes coloniales à l’armée de terre, lequel d’ailleurs lui créait un lien nouveau avec les ingénieurs des poudres, le faisait dépendre à la fois de deux ministères. Une carrière ballottée entre la vie