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ne prend à la lettre cette imagerie tendancieuse, qui a d’ailleurs son analogue dans toute une littérature, et qui, secrètement, doit flatter, au fond de nos âmes occidentales, un vieil instinct romanesque, rebelle à toutes les ironies de la réalité. Mais, l’autre jour, dans cette même Tunis, subitement bouleversée par une émeute sanglante, je ne pouvais m’empêcher d’y songer et de sentir le contraste violemment grotesque de ces images avec la situation, lorsque j’assistais à l’affolement général des touristes, qui, sur la foi des agences et des guides, étaient partis pour l’Orient bénin de la Place-Clichy et qui se trouvaient jetés tout à coup en pleine sauvagerie africaine. Comme disent les enfans, ce n’était plus de jeu. Un des partenaires du divertissement promisse dérobait, avec une mauvaise foi insigne, aux règles convenues. Les agences avaient donc menti, et les romanciers qui exaltent l’hospitalité et l’esprit chevaleresque de l’Islam, cl aussi, chose plus grave, les gros livres officiels qui vantent la sécurité du pays, les dispositions pacifiques des indigènes et les bienfaits de notre protectorat ?


Mais les touristes n’étaient pas seuls à crier leur déconvenue. Le pire, c’est que la stupeur régnait partout, aussi bien chez les citadins et les colons européens que dans les milieux officiels. On eût dit le réveil soudain d’un volcan depuis longtemps endormi. En tout cas, si cette alerte n’a pas les suites fâcheuses qu’on peut redouter, elle aura été aussi chaude qu’inattendue.

La veille, nous nous étions couchés dans tout l’éblouissement du plus merveilleux clair de lune qui ait jamais enchanté ville orientale. Et voilà que, le lendemain, dès l’aube, un brouhaha sinistre emplissait les rues. Les attroupemens se formaient au milieu de la chaussée. Des gens se mettaient à courir tout à coup, au bruit des fusillades lointaines. Les fenêtres s’ouvraient précipitamment, des figures inquiètes se penchaient aux balcons. On se demandait : « Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il y a ?… »

— C’est la révolution ! me dit, en haussant les épaules, un vieux cocher alsacien, qui fumait placidement sa pipe devant la porte de l’hôtel.