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productifs ou stériles, à se préoccuper moins du producteur que du produit. Toutefois, quoique couverte ou détournée, ou plutôt enveloppée dans la considération du produit, et toujours gouvernée par la recherche de l’accroissement de la richesse, il serait injuste de dire que cette préoccupation leur est entièrement étrangère. Elle n’est même pas non plus tout à fait absente des Dialogues sur les blés de ce spirituel abbé Galiani dont la tête napolitaine fut à la fois pleine et légère ; au moins sut-il apprécier comme il convenait l’importance des manufactures et, par contre-coup, l’utilité, la nécessité, la dignité sociale de l’ouvrier. Avec Necker (1775), la note vibre davantage et tremble un peu : on voit bien qu’il est, comme Rousseau, citoyen de Genève ; mais cette émotion, qui ne va pas sans quelque phraséologie, est plus inattendue chez le banquier que chez le philosophe : peut-être n’en est-elle aussi que plus significative : « Vivre aujourd’hui, travailler pour vivre demain, voilà l’unique intérêt de la classe la plus nombreuse des citoyens. » La dureté de leur sort, ce qu’il a de borné et de précaire, n’est pourtant pas sans compensation, sans consolation. Et lesquelles ? Frugales, certes, et champêtres, et administrées par la bonne Nature ! On peut, par la concurrence, réduire l’homme de travail à n’avoir que du pain pour sa récompense, mais on ne peut « lui enlever ni ces besoins renaissans qui donnent de la saveur au plus simple aliment, ni cette soif ardente qui l’appelle avec plaisir auprès d’une fontaine, ni ce sommeil qui délasse doucement son corps fatigué, ni le spectacle de la nature qui le réjouit à son réveil, ni ce mouvement qui le distrait, ni cette curiosité qui l’agite, ni ce sang embrasé délice de ses sens, ni cette espérance enfin qui colore l’avenir, adoucit le présent, et relève le courage. » Autant dire : « Bienheureux les affamés parce qu’ils ont faim, bienheureux les vagabonds parce qu’ils couchent à la belle étoile, bienheureux ceux qui n’ont rien parce qu’ils jouissent mieux du doux rêve d’avoir un jour quelque chose ! » Ce sont les béatitudes du savetier, mais chantées par le financier, et l’on aimerait que le savetier les chantât lui-même ! De ce couplet, ne retenons que l’intention, et puisque nous avons passé par-dessus Origine et progrès d’une science nouvelle, de Dupont de Nemours, qui n’est en somme qu’un cahier d’élève, notes prises sous la dictée (1768), allons tout droit au chapitre de la Défense de l’usure (1787) où Bentham, ayant bousculé tout