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comprendre, à sentir la nécessité d’y apporter des contrepoids, et ses regards s’étaient tournés de notre côté, comme les nôtres se tournaient du sien. C’est pourquoi les deux pays, après tant de rencontres périlleuses qui ont failli plus d’une fois dégénérer en frottemens graves, se sont mis d’accord pour régler à l’amiable les difficultés pendantes entre eux et liquider d’un seul coup tout le passé. L’occasion était bonne : M. Delcassé en a profité et il a obtenu de l’Angleterre qu’elle se désintéressât du Maroc, moyennant des compensations en Egypte et à Terre-Neuve. Mais le désintéressement britannique ne pouvait pas s’étendre au rivage septentrional du Maroc. L’Angleterre, dans sa politique marocaine qui avait été longtemps rivale de la nôtre, avait eu l’Espagne pour amie et pour cliente ; elle avait pris avec l’Espagne quelques-unes de ces dispositions secrètes qui se réalisent ou ne se réalisent pas suivant les circonstances ; ni moralement, ni politiquement elle ne pouvait l’abandonner. De là est venu pour elle le désir, la volonté, peut-être le devoir de s’intéresser à nos arrangemens avec l’Espagne, arrangemens qui ont été faits sous son égide, un peu avec sa participation. Qu’on relise les traités secrets récemment publiés : qu’ils aient été faits avec l’Angleterre ou l’Espagne, ils s’inspirent tous des considérations qui précèdent. Leurs dispositions de détail peuvent varier ; encore ne le font-elles pas beaucoup ; le fond en est identique et il témoigne de la persévérance avec laquelle l’Angleterre met une politique toujours la même au service d’intérêts qui ne sont pas moins immuables. Ce serait une erreur de croire que l’Angleterre suive en toutes choses une politique de ce genre ; sa politique, toute réaliste, s’inspire le plus souvent des circonstances du jour ; elle est mobile, quelquefois flottante ; ce pays qui passe pour froid et tenace est extrêmement impressionnable, au point qu’il est souvent difficile de prévoir la veille sa politique du lendemain ; il est généralement contraire au caractère britannique de prendre des résolutions d’avance pour des éventualités qui ne se sont pas encore produites. Il y a toutefois dans la politique de l’Angleterre un petit nombre de vérités passées à l’état de dogme et autour desquelles tout le reste gravite : ce sont des points fixes qui ont la solidité du roc. Le fait que le Nord du Maroc ne doit pas appartenir à la France, qu’il ne doit pas être fortifié, que Tanger doit être inter-nationalisé est une de ces vérités contre lesquelles rien ne prévaudra aussi longtemps que l’Angleterre sera ce qu’elle est, et comme il y en a sans doute pour très longtemps et que cela est d’ailleurs