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la rigueur. Sans étonnement, elles s’installent sous leurs petites tentes, qu’une administration toujours maternelle remplacera, plus tard, par les marabouts traditionnels, dont la ration de vin, supprimée, paiera la location ; elles dorment sur la paille chichement mesurée, remplie des puces inévitables, qui fait regretter la terre dure des bivouacs. Et, satisfait dans son amour-propre par les rubriques ronflantes qui distinguent les détachemens de « réserve » et d’ « observation, » chacun attend dans une inertie toute marocaine l’heure lointaine du retour en France, ou le rôle escompté dans le troisième acte imminent du drame marocain.

En tout état de cause, la France peut avoir confiance dans son armée. Nulle autre au monde, à en juger d’après les troupes qui la représentent au Maroc, n’est composée de soldats plus braves, plus ingénieux et plus ardens. Les cavaliers ont la décision rapide, l’amour de l’aventure et l’esprit offensif ; pour les chasseurs d’Afrique et les spahis c’était, à chaque rencontre, un crève-cœur de ne pouvoir charger à fond les guerriers des tribus, dont ils éventaient toujours les emplacemens et les projets : les ordres formels prescrivaient d’éviter les perles et d’exposer un des nôtres à tomber, vivant ou mort, entre les mains de cruels ennemis. Nos artilleurs, qu’ils soient métropolitains ou coloniaux, qu’ils manœuvrent le matériel de 75 ou celui de 65, ont étonné leurs frères d’armes par la vitesse des mises en batterie, l’exactitude dans les appréciations de distances, leur calme sous un fou violent, l’efficacité de leur tir. Quant à nos fantassins, c’était toujours le cœur de la race qui battait sous des uniformes différens. Grognards et dociles, prompts à l’enthousiasme comme à la critique, passant avec sérénité de l’abondance aux privations, de l’inaction des camps au tumulte des colonnes, ils étaient endiablés sous les balles et, dans leur désir du corps à corps, ils n’avaient pas besoin d’ordres pour mettre au bout des fusils les baïonnettes, qu’ils considèrent d’instinct, comme leur meilleur et leur plus sûr argument.

Mais si, dans l’épée que la France étend sur le Maroc, la lame est bonne et bien trempée, on ne saurait en dire autant de la poignée. Par comparaison avec les troupes, les services sont inférieurs. Le zèle du personnel, les aptitudes individuelles, les initiatives les plus résolues, ne peuvent soulever le poids pesant des routinières traditions. Nous en avons donné quelques