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représente le passé par l’âge de la plupart de ses membres. Mais je doute fort qu’elle ait prévu combien le sujet qu’elle propose aux candidats de son prix est révolutionnaire. Que fera-t-elle si la meilleure pièce est anti-chrétienne ? Si les concurrens se bornent tous à célébrer les résultats industriels de la science, qui à vrai dire sont poétiques, par la délivrance de l’esprit désormais débarrassé des lourdes chaînes du travail manuel et enrichi d’un loisir que l’antiquité n’achetait que par l’esclavage des trois quarts du genre humain, ils auront plutôt chanté l’utilité que la poésie essentielle de la science. S’ils prennent pour thèse la lutte gigantesque de l’esprit humain avec l’inconnu, comme cette lutte date de la naissance de la curiosité, ils n’auront pas caractérisé la Science, ils auront plutôt fait à la philosophie les honneurs du sujet proposé.

Enfin ils peuvent, avec plus de nouveauté et d’intérêt, s’attacher à peindre l’émotion particulière que donne la science proprement dite, et qui est, ce me semble, le sentiment de la sécurité dans le savoir grâce à la méthode toute moderne de Bacon. Ce sentiment de sécurité dans le savoir, les anciens ne l’ont connu que fort peu dans la branche à peine cultivée alors de la physique exacte. Quand Archimède crie son Eurêka ! on sent que sa joie vient de la rigueur de la démonstration découverte. Jamais Aristote ni Platon n’ont eu l’occasion de s’écrier : « J’ai trouvé ! » Hélas ! ils sentaient qu’ils aspiraient plus qu’ils ne conquéraient. L’enthousiasme d’Archimède comme de Kepler, sous une forme religieuse et mystique, est au plus haut point poétique. Il y aura encore un point de vue à ne pas négliger, c’est la poésie de la science en tant qu’elle est la seule conciliatrice des hommes sur la terre. En effet, la science n’admet que des vérités démontrées, c’est-à-dire indiscutables et accessibles à toute intelligence qui s’y applique ; elle définit et prouve. Or il n’y a plus de querelles possibles sur des matières où tout est défini et prouvé. Quand donc la sociologie, selon le rêve de Comte, sera devenue une science organisée, on sera obligé de tomber d’accord sur une foule de questions sociales et politiques aujourd’hui litigieuses, il sera devenu, non seulement insensé, mais encore ridicule, de contester des droits qui sont au contraire mis en doute aujourd’hui par un grand nombre d’hommes qui abusent du peu de rigueur des théories politiques pour maintenir tous les abus sans révolter suffisamment