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l’évolution qu’il s’agit d’accomplir, des coutumes et des traditions très chères auxquelles ils seront amenés à renoncer s’ils veulent vivre de notre vie. C’est qu’un abîme infranchissable, mais en apparence seulement, sépare les Marocains d’aujourd’hui des peuples européens. Je rencontrais, il y a quelques mois, à Madrid un Rifain attaché à la mission marocaine. Fort intelligent, parlant facilement notre langue, il me dit avec la plus grande franchise ce qu’il pensait des projets de transformation de son pays. Voici ses paroles à peu près textuelles : « Actuellement nous sommes encore les maîtres chez nous. Notre pays pourrait peut-être ressembler à l’Europe, avoir des villes, des chemins de fer, des monumens, des usines ; — mais tout seuls nous ne sommes pas en état de réaliser un semblable programme. Si vous nous apportez votre concours, vous travaillerez pour votre agrément personnel, et non pour le nôtre. Vous ne tarderez pas à nous exproprier et bientôt vous deviendrez les maîtres de la montagne et de la vallée, tandis que nous les habitans, les premiers propriétaires du sol, nous serons comme des invités dans notre propre maison. Nous n’aurons alors d’autre ressource pour vivre que de devenir des ouvriers à vos gages. »

Mon interlocuteur avait bien exposé la nature du malentendu qui subsiste à l’heure actuelle entre les Marocains et nous : ses compatriotes, pensait-il, figés dans leurs habitudes économiques et leurs mœurs sont réfractaires à toute évolution, par conséquent, la transformation du Maroc s’accomplira sans eux et contre eux. Nous allons constater par notre enquête que cette opinion était trop pessimiste : le Marocain possède de sérieuses qualités, — l’intelligence et l’aptitude au travail. Mieux informé, il entrera spontanément dans la voie nouvelle et s’adaptera sans trop de difficulté à la vie européenne.


Au Maroc comme en Algérie, les nomades et les sédentaires vivent côte à côte, en médiocre intelligence parfois : ils ne sont pas de même race, ils pratiquent un genre de vie très différent, ils ont enfin sur la propriété des idées absolument opposées : tandis que le sédentaire est attaché au sol qui lui appartient, le nomade pasteur serait partisan de la propriété collective et voudrait faire des terrains de parcours et des pâturages une sorte de patrimoine commun.