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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/875

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authentique de Mahomet. Cette origine illustre lui donne une influence considérable. D’autre part, sa mère est Anglaise et lui a transmis beaucoup de ses idées, son sens pratique surtout. Demi-Européen, Moulay-Ali n’a pas adopté nos mœurs, bien que le confort britannique soit installé dans son home : le chériff reste un partisan très fervent de la polygamie.

Je présenterai encore le caïd de Médiouna, qui passa deux jours suspendu par les mains et par les pieds au plafond d’une prison. Ce fut un ordre du général d’Amade qui le rendit à la liberté et peut-être à la vie. Depuis lors, Filali s’est très aisément consolé de cette mésaventure : pendant qu’il me reçoit, j’entends et je vois passer, portés par des nourrices noires, une vingtaine d’enfans de deux mois à deux ans. Il a soixante ans : il a cent femmes. Quand il avait vingt ans et vivait de la modeste rente que lui donnait son père, il n’en avait qu’une.

Faut-il citer encore deux Marocains de soixante-cinq ans, qui, amis d’enfance et ayant chacun une fille de quatorze ans, n’imaginent rien de mieux que de se donner l’un à l’autre leurs enfans en mariage, de sorte que chaque fillette devient la belle-mère de son père ?

J’ai cru devoir donner ces quelques détails sur les personnages qui, par leur naissance et leur fortune, sont désignés pour guider le peuple marocain vers de nouvelles destinées. Il faut convenir qu’ils ne sont vraiment pas préparés à remplir cette mission d’éducateurs. Ils connaissent notre civilisation, mais ils n’en ont pris ni les principes moraux, ni les progrès matériels. L’argent est un levier puissant : ils s’en servent pour acquérir et entretenir des harems !

La polygamie, voilà donc l’obstacle le plus sérieux à l’évolution du peuple marocain : elle a pour corollaire obligé l’esclavage. Bien des légendes ont cours chez nous sur la vie des ménages polygames. Beaucoup de gens pensent que la femme musulmane accepte la polygamie sans révolte, et que l’esclave généralement bien traitée est souvent satisfaite de sa condition.

Certes, quand toute dignité est avilie chez les malheureuses auxquelles on prend sans les consulter leur âme et leur corps, elles acceptent avec résignation l’inévitable et murmurent le mot du fataliste : « Mektoub, » — C’était écrit. Mais si dorée que soit leur cage, elles ont parfois au fond du cœur la vocation naturelle de la vie de famille et une aspiration vers la liberté.