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du 25 août, avait dû être abandonné en raison de l’interception de la lettre qui en exposait les voies et moyens. Le marquis de Mirabeau avait cette lettre dans les mains. Il en avait transmis le contenu à ses limiers dans des instructions qu’ils trouvèrent à Lyon en y revenant. Il leur recommandait expressément de ne point faire la faute de perdre de vue Mme de Cabris, après avoir commis celle de laisser son fils prendre le large. Muron et de Bruguières obéirent avec d’autant plus de docilité que le retour de M. de Briançon à Lyon, précédant le leur, faisait présager celui de leur proie manquée, si même Mirabeau n’était pas déjà dans le voisinage, après avoir débarqué à Toulon ou à Marseille.

Les policiers eurent d’abord l’honnêteté de se souvenir que le valet Saint-Jean languissait toujours dans la forteresse de Pierre-Scise et qu’ils avaient en poche des ordres pour sa liberté, avec deux ou trois louis pour l’indemniser de sa détention arbitraire. L’ayant mis dehors, ils s’en firent accompagner pour perquisitionner chez maître Pylade. Louise s’y rencontra. Tout en opérant, ils menacèrent si fort et si ferme que, quoique peu faciles à intimider, ces amans leur donnèrent soudain le spectacle du plus vif accès de tendresse et d’émoi, aussitôt consigné mot pour mot dans un rapport destiné à la collection déjà riche de l’Ami des Hommes. Prendre des informations contre sa fille rentrait dans la mission de ses agens ; il n’y attachait pas moins de prix qu’à la capture de son fils : « Il ne nous convient pas, expliquait-il au bailli de Mirabeau (22 août) de laisser couver une nouvelle Saint-Vincens, aussi vilaine folle et tout autrement scélérate ; celle-ci est l’âme de toute cette ligue de brigands ; la mère même sera démantelée quand elle ne l’aura plus ; et par cent raisons que tu as devinées de plus loin que moi, je ne tiendrai la clef du désordre et du scandale domestique que quand je tiendrai celle-ci. »

Il parut à Muron et à de Bruguières que l’intimidation leur réussirait. Revenant bientôt à la charge, ils représentèrent à Mme de Cabris, avec le ton et l’autorité de leur emploi, qu’en ne leur découvrant pas la cachette de son frère, elle devenait la cause des malheurs qu’il se préparait et qu’elle en encourrait la peine : « L’enlèvement de Mme de Monnier, disaient-ils, s’exécuterait malgré les soins qu’elle avait pris de l’empêcher, au lieu que si Mirabeau était arrêté, il n’aurait à réparer que le tort léger de son évasion. » Louise fit mine d’être ébranlée, et