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Louise aurait pu ajouter qu’elle était en possession d’administrer à tous les incrédules une preuve péremptoire de sa sincérité dans ces sentimens-là. Non contente de ne rien aliéner de sa liberté de jugement à l’égard de son frère, tout en recourant à ses bons offices, elle avait forcé celui-ci à préciser son rôle et à reconnaître ses initiatives dans leur rapprochement tout accidentel et momentané. Il ne s’y était pas refusé. Au fait, en échange de cette reconnaissance, il avait acquis la certitude que Louise renoncerait à pousser à l’extrême ses avantages contre lui et qu’en particulier, elle laisserait dormir dans les bureaux ministériels « l’horrible dépôt, » — comme disait son père, — des calomnies dont il l’avait souillée et accablée. A la demande de Briançon, il lui avait remis un papier ainsi conçu :


Pour ma sœur de Cabris.

Je donne très volontiers à ma sœur la déclaration qu’elle désire que c’est par mon conseil qu’elle a écrit à mon père et à mon oncle des lettres de soumission et de tendresse suppliante, sur la parole que je lui ai donnée qu’il était aussi impossible qu’on arguât de ces lettres la moindre imputation contre elle, que mon père est en effet incapable d’en faire un usage qui puisse nuire à sa fille. Il est louable et ne peut jamais être honteux de s’en remettre à la clémence d’un père et de lui demander comme une grâce cela même que l’on croit une justice. Les lettres rappelées dans cette déclaration sont écrites de Sisteron en date du 7 février 1781. Ce sont jusqu’ici les seules qui aient été écrites à ma sollicitation instante, laquelle n’a jamais eu pour motif que la conviction intime où je suis que c’est là le seul moyen décent et sûr de rétablir la paix dans ma famille. A Paris, ce 24 février mil sept cent quatre-vingt-un.

LE COMTE DE MIRABEAU.


Telle fut sa dernière correspondance avec Louise. Elle ne cessa pas de se servir de lui, mais en repoussant avec fermeté l’opprobre de son amitié. Et des semaines, des mois s’écoulèrent encore sans solution. Enfin, le 18 mai 1781, le parlement de Paris prononça, au bénéfice de la marquise de Mirabeau, sa séparation de corps et de biens d’avec l’Ami des Hommes. La marquise était libre désormais. L’autorité royale, « éclairée par ce jugement, » la fit élargir sans conditions. Et comme cette méchante et même vilaine épouse avait un bon cœur de mère, le premier usage qu’elle lit de sa liberté fut de s’appuyer de sa parenté la plus imposante pour présenter à la Cour une requête