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Transtévère. Le Pape resta à la fenêtre jusqu’à ce qu’il eût perdu de vue son fils qu’il ne pouvait se défendre d’aimer, malgré le crime affreux dont il le savait souillé. À Ostie, César s’embarqua sur le vaisseau français avec le baron de Trans, avec Giordano Orsini et toute une foule brillante de jeunes nobles romains, trente en tout. « Pour viatique, dit Yriarte, César emportait 200 000 ducats d’or en monnaie sonnante provenant de confiscations et d’amendes sur des juifs et autres. Il emmenait encore cent serviteurs, écuyers, pages et estafiers avec douze chariots et cinquante mules pour les bagages, un majordome, un médecin espagnol, un secrétaire, etc.

Au bout de dix jours de lente navigation, la flotte brillante arriva à Marseille. L’archevêque de Dijon reçut César au môle au nom du Roi. La première grande étape du magnifique cortège fut Avignon où le fils du Pape rencontra le cardinal Julien de la Rovère, le futur Jules II, venu à sa rencontre de la cour de France où il vivait, celui-là même qui devait être plus tard l’agent direct de sa perte. « Je ne veux pas cacher à Votre Sainteté, écrivait la Rovère dans une de ses missives au Pape, que le duc de Valence est si plein de modestie, de prudence, d’habileté et doué de tels avantages, au physique et au moral, que tout le monde est fou de lui ; il est en haute faveur à la Cour et auprès du Roi ; tout le monde l’aime et l’estime, et j’éprouve à le dire une véritable satisfaction. »

Pendant douze jours, la Rovère entretint à ses frais César et sa suite, prodigalité qui lui coûta la somme de 7 000 écus d’or. César fit dans Avignon une entrée magnifique, monté sur un cheval barbe, sorti des haras du marquis de Mantoue et présent de ce prince.

D’Avignon, César gagna Valence, la capitale de son nouveau duché. Il refusa de descendre au château avant d’avoir été mis officiellement en possession de son État. De même, il refusa le cordon de Saint-Michel que Louis XII lui envoyait, déclarant qu’il ne l’accepterait que des mains du Roi. Le voyage se poursuivit par Lyon où la réception par les consuls fut d’une richesse merveilleuse. On a retrouvé dans la chronique de Benoit Maillart, grand prieur de Savigny, les détails relatifs au menu du banquet principal. Ce fut un festin de Gargantua : vingt-huit chapons, vingt-quatre lapins, quatorze douzaines de perdrix blanches, deux de perdrix rouges, seize canards, trente-