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« Elle a bien, comme le dit M. Bonnaffé, l’aspect sévère des constructions militaires de cette époque. La Renaissance, avec ses ajustemens et ses coquetteries, n’a pas encore passé par là. » La grosse tour d’entrée trapue, massive, au toit aigu, présente une porte basse sur les côtés de laquelle on aperçoit encore les rainures du pont-levis. Sous le toit, un chemin de ronde en encorbellement, éclairé par des meurtrières, est muni de mâchicoulis.

Mais la gloire du vieux château est le donjon encore parfaitement conservé, qui, chose infiniment rare à notre époque, a gardé son ancien hourdage en charpente, à planches verticales s’appuyant sur des montans également en bois. Le toit pointu se termine par une lanterne à pans destinée à servir d’échauguette. L’intérieur, au dire de ceux qui y ont pénétré, est intact. L’escalier en vis, dont les gradins semblent faits d’hier, conduit au premier comme au second étage à une vaste chambre faiblement éclairée, munie d’une grande cheminée de pierre. Les deux bancs traditionnels, également de pierre, scellés dans la muraille, permettaient de découvrir la campagne environnante, L’Inventaire nous révèle que le tailleur de la princesse habitait la chambre basse de la tour. Au troisième étage une surprise attend le visiteur. Sur un plancher fait de poutrelles à jours convergeant vers le centre, se dresse un instrument de répression peut-être aujourd’hui unique en France dans cet état parfait de conservation : c’est un cep] ou carcan déjà mentionné, chose curieuse, nous l’avons vu, à l’article 675 de l’Inventaire : « En la haute chambre de ladite tour ont été trouvés un « sects » à mettre prisonniers. »

On sait que les fourches patibulaires, le cep et le pilori étaient les trois signes visibles du droit de haute justice auquel avait droit la vicomté de la Motte-Feuilly. « Le cep, dit Robert Estienne, dans son Dictionnaire latin-français de 1538, est une sorte de torment de bois dedans lequel on met le col et les pieds des malfaiteurs. » C’est donc bien une espèce de carcan destiné aux prisonniers dangereux.

Les derniers ceps, bien rares déjà à ce moment, ont disparu à la Révolution. ; Quelle matière admirable pour les prédicateurs de liberté qui cherchaient à insulter à la féodalité lors du pillage des donjons lointains ! Le cep de la Motte-Feuilly est probablement le dernier qui subsiste, du moins le dernier