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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/150

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REVUE DES DEUX MONDES.

Elle est personnelle parce qu’une personne en est toujours l’objet. L’enfant n’admire pas le métier, mais celui qui l’exerce sous ses yeux. L’idée du métier est une idée abstraite à laquelle on n’arrive que par généralisation. L’enfant ne généralise pas, et l’abstraction lui est difficile. Le caractère personnel de cette admiration est d’ailleurs persistant : on le retrouve encore après l’enfance et la jeunesse. Car la vocation n’est pas une force qui tombe en se réalisant : elle survit au choix du métier et à l’apprentissage, elle accompagne, conduit et soutient la carrière, qui sans elle courrait de vrais dangers ; mais elle reste toujours, malgré les apparences, une admiration personnelle. Sans doute on admire maintenant le métier en lui-même, on en a acquis l’idée abstraite, on le compare aux autres, on apprécie ses avantages et sa supériorité, mais on admire surtout la maîtrise qu’on y apporte et les succès qu’on y obtient. Le même sentiment, qui a fait naître la vocation, l’entretient et la confirme ; nous commençons par admirer les autres et nous continuons en nous admirant nous-même.

Le mérite de celui que l’enfant admire importe beaucoup, car plus il est grand, reconnu de tous et cité, plus il y a de chances pour que l’admiration soit vive. Le père, qui travaille sans goût et sans succès, humilie son fils qui porte ailleurs ses regards ; celui dont les moissons sont un triomphe, met dans le cœur du sien un sentiment d’une grande force. Ce sentiment est fait de tendresse et d’admiration : le père n’y voit en général que la première, qui se manifeste le plus et par des témoignages dont son cœur est profondément touché, mais il est possible que l’admiration domine.

Le sentiment admiratif du petit domestique pour le maître, moins profond, moins enthousiaste, est encore très efficace. Il est des métairies, d’où les jeunes bergers qu’on y loue sortent presque toujours au bout de quelque temps laboureurs confirmés, et d’autres qui n’en retiennent aucun à la terre. Nous avons connu un agriculteur émérite qui allait chercher ses petits domestiques à la ville, dans des milieux défavorables ; de presque tous il faisait de vrais paysans, reconnaissables à l’empreinte de leur premier maître, dont ils citaient sans cesse les pratiques, les exemples, jusqu’aux paroles. Les sociétés d’agriculture, entrant dans une voie un peu nouvelle, devraient rechercher ces éducateurs sans diplôme, ces fixateurs de voca-