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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

le soupçon, il devient souvent moqueur. Il rit de celui qui se dissimule le long des haies pour gagner la maison du sorcier, et, à la nuit, il ira le consulter lui-même ; le matin, quand la messe sonne, il y va de l’invariable plaisanterie sur le malin qui aura tôt fait de gagner sa journée et il a payé cette messe pour ses morts ; il traite de songe-creux le voisin qui s’attarde au bout du sillon pour écouter le chant de l’alouette et il vient de réciter à son âme la strophe ailée et joyeuse que le vieux poète patois fait monter et fait chanter dans les airs[1].

Devant les grands spectacles de la nature son émotion dépasse la poésie et devient religieuse : les deux sentimens communient dans leur origine qui est le mystère universel des choses. La succession invariable des saisons, les phases de la lune qu’on croit si décisives dans la germination des plantes, la gloire du soleil au solstice, que saluent des feux de la Saint-Jean, sont des forces depuis longtemps divinisées. Le paysan que nous avons sous les yeux, quelles que soient les sources diverses de ses lointaines origines, a derrière lui un atavisme terrien qui se perd dans la nuit des temps. Voilà donc des milliers d’années que la race, aux prises avec la terre, sent confusément une puissance souverainement créatrice et maternelle dans le rythme annuel de son inlassable fécondité. Loin des rivages grecs, bien des hommes, qui n’ont su ni la dégager de leurs obscures intuitions, ni la personnifier, ni la dénommer, ont tout de même senti et adoré à leur manière l’immortelle et bienfaisante Démêter. Faut-il s’étonner qu’un vague panthéisme subsiste encore sous la couche épaisse de christianisme qui l’a absorbé et le recouvre ? C’est probablement ici la partie la plus profonde, la plus intime du sentiment religieux, peut-être la plus irréductible, et qui, même aux jours difficiles de la Révolution, garda ses exigences.

En Lomagne par exemple, sous la Terreur, les paysans se passèrent de prêtres pour les morts, les naissances et les

  1. Dastros, poète patois de la fin du XVIIe siècle. Ses vers sur le chant des oiseaux sont un petit chef-d’œuvre d’harmonie imitative. Voici la strophe sur l’alouette que les paysans répètent avec des variantes :

    La lauzoto, per lauza Diou,
    Dab soun tiro liro pion piou,
    Debez lon ceou dret coum uo biro
    En bet tiro lira se tiro,
    E quan non pot mes haut tira
    En bat tourno tiro lira.