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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/175

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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

parler facilement palois, au besoin manier la bêche, avec une bonne culture scientifique, du goût littéraire, un sentiment très vif de la poésie de la nature, une véritable élégance intellectuelle et morale. Celle-ci ne se mesure pas au savoir livresque, et elle reste toujours une des qualités maîtresses de l’éducateur. Il y a au moins un reproche qu’on ne pourrait pas faire au maître paysan, c’est d’être un esprit primaire au sens défavorable qui semble s’attacher de plus en plus à ce mot, puisque, si je ne me trompe, et pour des raisons que l’on voit sans peine, il serait précisément tout le contraire.

Les instituteurs à l’âme paysanne étaient nombreux autrefois, ils le sont moins aujourd’hui, et on m’assure qu’ils deviennent chaque jour plus rares, ce qui est extrêmement regrettable. Comment les recruter et les former ? C’est une question grave, difficile, complexe, délicate, mais non pas insoluble, et dont on peut bien dire qu’elle n’est pas, qu’elle ne sera peut-être pas de sitôt le premier souci de ceux qui s’occupent le plus de l’école. Il est des milieux où l’on provoque un véritable étonnement quand on y parle du maître tel qu’il devrait être dans une école villageoise, adaptée selon les règles d’une bonne méthode scientifique.

Les exigences de ma profession me conduisirent un jour pour la première fois dans un petit village de la plaine qui éparpille négligemment ses maisons parmi les vergers. Sous le soleil de juin les champs étaient en joie et les cerisiers rouges de fruits. Devant l’école un homme dételait une paire de vaches, entouré d’enfans dont les plus grands l’aidaient. C’était l’instituteur qui, après son labour matinal, allait commencer sa classe. On devine ma curiosité. Elle amena une enquête, qui peu à peu devint complète.

Ce maître était sorti d’une vieille famille de métayers gascons, qui depuis cent vingt ans travaillait la même métairie au moment où son père l’acheta, moyennant une somme assez ronde, enterrée sous le lit par l’effort de quatre ou cinq générations. Le métayer, devenu propriétaire, voulut faire de son fils un monsieur et il en fit un instituteur. Mais celui-ci garda toujours la nostalgie de la charrue et il s’était juré qu’il y ramènerait ses trois fils, alors âgés de moins de quinze ans. Il avait pris pour cela le vrai moyen et même le seul : sur quelques champs loués, il travaillait tous les jours avec eux et leur mère,