Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de suite épuisés ; il n’a plus que des antiseptiques destinés aux animaux, des bandes coupées dans le linge des Européens. Et peut-il extraire des balles, soulager le sergent Fadiala Keita qui souffre atrocement de sa blessure de l’aine, sauver le sergent Diara Fofona ?

Il est impuissant. Ses efforts ne parviennent pas à empêcher la gangrène de se mettre dans la jambe du clairon Moussa Sidi Hé, fracturée en trois endroits, et dans la cuisse également brisée.

Pourtant pas une plainte ne s’élève de ce lugubre convoi, plusieurs plaisantent même sur leur mal.

— Moi y a trompé les mouches, dit en riant Moussa Sidi Hé ; avant, lui y a vienne sur mon figure ; maintenant, lui y a vienne sur mon jambe.

Tous montrent dans la douleur le même courage que dans le combat ; ils ne se plaignent pas, ils ont seulement hâte d’être au terme du voyage.

Diara Fofona ne devait pas voir la fin de cette longue route. Le 7 décembre, il succombait à ses quatre blessures.

Le lieutenant ne voulut pas abandonner son corps, Bou Djebiha n’était plus qu’à trois étapes ; là on l’enterrerait avec les honneurs qu’il avait mérités.

Sur sa tombe, dans le cimetière musulman, les officiers ont élevé un petit monument ; à côté, est une autre tombe, celle de Moussa Sidi Bé. Le médecin était arrivé trop tard pour sauver le brave clairon ; la gangrène avait fait son œuvre.

L’opération fut tentée malgré tout ; et pendant cette opération, rendue plus horrible encore par la gangrène, le lieutenant voulut être là. En se livrant au docteur, Moussa Sidi Hé prit la main de son officier, la garda dans la sienne… puis son étreinte se desserra, il était mort.

Il pouvait dire ce que répètent souvent ses camarades à leurs officiers :

— Moi, noir ; mais comme toi y a cœur blanc !


Colonel BARATIER