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démission. Ailleurs encore, M. Cassagne dit de lui : « Son cœur était bien placé. Si la rancune et la sottise de l’émigré y pénétraient, elles n’y abolissaient pas la qualité française et le sentiment de l’honneur national. » La phrase est assez contradictoire, et il ne me parait pas que les expressions un peu bien vives qu’elle renferme s’appliquent réellement à railleur de la Monarchie selon la Charte.

On le voit, il arrive à M. Albert Cassagne de méconnaître parfois le véritable caractère de Chateaubriand. Il lui arrive aussi de se méprendre un peu sur la nature du rôle qu’il a joué dans l’histoire morale et politique de son temps. Il le représente quelque part comme « un ennemi implacable de la Révolution, de ses principes, de son esprit, » comme « acquis à la réaction religieuse et monarchique, » comme « l’homme du parti catholique » ou « clérical, » il dit même, en s’en excusant un peu, « du parti prêtre. » Je n’aime pas tout d’abord ces expressions qui sentent la polémique, et qu’un véritable historien devrait impitoyablement renvoyer aux journaux de la Restauration ou du second Empire. Et ce dont je suis plus sûr encore, c’est qu’elles nous donnent de Chateaubriand une idée très inexacte, et, peu s’en faut, tout à fait fausse. Si Chateaubriand avait été cet « ennemi implacable de la Révolution » qu’on nous dépeint à plusieurs reprises, il n’aurait pas écrit la Monarchie selon la Charte, il n’aurait pas réclamé ni défendu la liberté de la presse, il n’aurait pas, parmi les royalistes de son temps, — et même du nôtre, — excité des inimitiés redoutables : la vérité est qu’il était un « libéral, » et qu’il a voulu, de tout son esprit et de tout son cœur, réconcilier « les deux Frances, » celle de l’ancien régime et celle du régime moderne. Et enfin, c’est le diminuer étrangement, — et le travestir, — que de voir en lui « l’homme du parti prêtre ; » c’est là une conception un peu simpliste héritée des « jacobins » ou des « idéologues : » il n’était pas de ceux qui limitent leur horizon à celui d’une sacristie. Comme s’il avait pu, d’ailleurs, prévoir le reproche, il y a répondu d’avance dans une de ses lettres à Fontanes (1er juin 1803) : « Quand le Consul a rétabli la religion, il a fait l’acte d’un grand homme ; mais il ne se dit pas, ou plutôt on cherche à lui cacher tout ce qu’il a fait pour lui-même. On parle de partis ? Mais, certes, 24 millions de chrétiens sont, je pense, un assez grand parti ! Eh bien ! ce parti-là est décidément à celui