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son pardon, sans oser cependant promettre de ne pas recommencer. Ses relations avec sa noble femme, Hedwige de la Gardie, qu’il trouva toujours, même dans ses pires malheurs, dévouée jusqu’à l’héroïsme, ne sont pas à cet égard moins révélatrices de sa nature ondoyante et de la fragilité de ses engagemens que ses rapports avec Madeleine de Rudenschold.

A l’heure où il semble en proie aux sentimens les plus tendres pour Hedwige, il se laisse captiver par la beauté de Madeleine. Il se défend d’abord contre la tentation. Bientôt, elle s’empare de lui avec une irrésistible violence ; finalement, il y succombe. Peut-être suppose-t-il que l’aventure sera passagère. Mais la jeune fille, qui se donne sans calculer les suites de sa faute, n’est pas de celles qui se laissent abandonner. S’il n’a pas été en son pouvoir d’empêcher Armfefdt de se marier, elle le tient ; elle entend le garder ; elle le gardera, l’ayant si fortement enchaîné qu’il renoncera à briser la chaîne et que, pendant plusieurs années, il portera fiévreusement le fardeau de deux amours, celui qu’il ressent pour sa femme et celui qu’il a conçu pour sa maîtresse.

Il y a lieu d’observer qu’à la cour de Suède, une situation aussi peu régulière n’était pas pour faire scandale. Il en était d’analogues et en assez grand nombre. On en parlait couramment. La famille royale elle-même fournissait maints alimens à la médisance.

La liaison du baron d’Armfeldt avec Madeleine de Rudenschold fut admise au même titre que les autres. Comme les deux amans ne se cachaient pas, leur constance réciproque publiquement avouée finit par imprimer à leur liaison une sorte de régularité qui semblait la rendre légitime. Fière de son amant, transportée par ses succès, heureuse de le savoir en possession de la confiance du Roi et tout-puissant à la Cour, Madeleine se livrait sans contrainte au bonheur de lui prodiguer sa tendresse ; et de recevoir les preuves de la sienne. Elle lui disait alors, ce qu’elle devait lui répéter plus tard, dans ses lettres, quand ils furent pour toujours séparés :

— Nous sommes l’un à l’autre pour la vie, car tant que je t’aimerai tu m’appartiendras, et jamais je ne cesserai de t’aimer.

Quelque volage, que fut Armfeldt, il ne doutait pas de l’éternité de cet amour plus fort que ses remords et que n’avaient