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à encourager ses espérances, il avait feint d’y renoncer et de se résigner au refus indigné par lequel Madeleine lui avait répondu. Mais sa résignation n’était que comédie. Tandis qu’Armfeldt, dans les bras de sa maîtresse, raillait l’étrange tentative du prince dont elle lui avait fait la confidence, celui-ci ne se décourageait pas et se promettait de revenir à la charge dans un moment plus opportun. Il n’est pas téméraire de penser qu’il songeait déjà à éloigner Armfeldt et à se donner ainsi une chance plus grande de vaincre la résistance que lui opposait la jeune femme.

Toutefois, quel que fût son dessein, il se montra d’abord plein d’attention pour le favori de son frère. Non content de ratifier sa nomination de gouverneur général, il lui déclara que les hommes qui avaient servi le feu Roi jusqu’à la dernière heure, sans marchander leur dévouement, seraient toujours considérés par lui comme les plus fidèles serviteurs de l’Etat et traités en conséquence.

Dès ce moment, sa conduite à l’égard d’Armfeldt présente tous les caractères de la perfidie. Il l’accueille toujours avec bonté. Dans les circonstances graves qui se produisent au lendemain de la mort de Gustave III, il lui demande conseil ; il recourt même à ses services et notamment lorsque, à la nouvelle de la décision qui le nommait Régent, une émeute éclate dans la capitale ; c’est à lui qu’il demande d’intervenir pour apaiser les masses populaires. Lorsque le soulèvement est conjuré, il le remercie avec la plus vive reconnaissance et avec le désir de le convaincre de sa durée.

Un homme moins perspicace et moins fin que le gouverneur général s’y serait mépris ; mais il ne s’y méprit pas. S’il avait lieu d’être satisfait des paroles qui lui étaient adressées, il ne pouvait l’être des actes qu’il prévoyait et auxquels le Régent préludait en imprimant à la politique suédoise une orientation nouvelle.

Au moment de la mort de Gustave III, cette politique était fondée sur l’alliance de la Suède et de la Russie, conclue, on s’en souvient, à la suite de la paix de Véréla. Après s’être réconciliés, les deux adversaires de la veille avaient compris la nécessité de s’unir étroitement en vue des complications qui s’annonçaient pour le lendemain. Gustave s’était prêté à ce rapprochement avec d’autant plus de joie qu’il ne pouvait plus compter