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premières causes de l’irritation d’Armfeldt contre le nouveau régime.

Elles s’envenimèrent de diverses contrariétés qu’il éprouva dans l’exercice de ses fonctions de gouverneur général ainsi que de nominations à des postes élevés de personnages que Gustave III avait éloignés de la Cour ; il interpréta ces mesures comme un témoignage du désir qu’avait le Régent de se débarrasser de lui. Il fut bientôt convaincu que son renvoi était décidé et que sa disgrâce totale était proche. Il conçut alors le projet de s’éloigner momentanément de Stockholm. Sa santé compromise et lente à se rétablir lui fournirent le prétexte dont il avait besoin. Elle justifia la demande de congé qu’il présenta au Régent en démontrant la nécessité où il se trouvait d’aller faire une cure à Aix-la-Chapelle.

Son désir ne pouvait qu’être agréable au prince. En y faisant droit, il supprimait un témoin de sa conduite, qui semblait toujours la lui reprocher ; il éloignait de la Cour un rival dont la présence l’empêchait de donner carrière à ses convoitises amoureuses. Quoique contenue et dissimulée, sa passion pour la demoiselle d’honneur ne s’était pas refroidie. Malgré l’échec de sa première tentative, il n’avait pas renoncé à en faire une seconde. A tous les points de vue, le départ d’Armfeldt comblerait ses vœux. Néanmoins, poussant la perfidie à l’extrême et continuant à couvrir d’un masque de bonté ses antipathies et sa malveillance, il feignit de se faire tirer l’oreille et de vouloir refuser le congé qui lui était demandé pour quatre ou cinq mois. Il finit par l’accorder, mais pour trois mois seulement, sous le prétexte que les fonctions d’Armfeldt exigeaient son prompt retour.

« Il avait eu le temps de se préparer à la comédie qu’il me fit l’honneur de jouer devant moi, écrit Armfeldt. Son Altesse Royale ne se contenta pas de répéter les propos flatteurs qu’il avait déjà tenus à l’occasion de mon voyage qu’il voyait avec chagrin ainsi que sur mon retour, qu’il me pria de hâter, et sur tous les services que je lui avais rendus et qu’il attendait encore de moi. Il m’embrassa en employant les expressions les plus tendres et émouvantes ; mais je ne me laissai pas donner le change. Je compris fort bien que cette attitude étudiée n’avait été prise que pour m’empêcher de parler de la liberté de la presse ; il savait que j’avais la loi dans ma poche. Voyant qu’il