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desséchés que le vent jette au visage, deux tentes sont dressées pour les malades. Ceux-ci représentent presque la moitié de l’effectif. La plupart sont fiévreux, car l’endroit est humide et malsain. Ils n’ont qu’une couverture pour s’étendre sur le sol et les médicamens font défaut. Les plus malades sont évacués sur le camp de Ghârian, à 100 kilomètres au Sud, ce qui représente au moins cinq journées de marche à dos de chameau.

Là, sont installés le Croissant rouge ottoman, la Croix-rouge allemande. Je n’ai pas vu d’ambulances dans la région du littoral.

À cause de ma caravane qui arrive trop tard pour que l’on dresse la tente, je suis obligé d’accepter le gîte et le couvert que les officiers m’offrent avec une insistance, avec une cordialité contre lesquelles il n’y a pas à lutter. Mais à goûter la cuisine indigène, mais à voir l’endroit où je devrai dormir, je regrette fort d’avoir pris les devans.

Tous ces gens vivent dans une malpropreté qui ne semble plus les incommoder. La vermine, les parasites de toutes sortes pullulent en Tripolitaine. On renonce bien vite à s’en garder, si l’on arrive mal à s’y accoutumer, et c’est l’un des tourmens du voyage !

Je passe une nuit des plus pénibles dans la cellule que je partage avec le lieutenant et, dès les premières lueurs du jour, je suis dehors.

La pureté du ciel, la fraîcheur de l’air, le balancement des palmes berceuses dans une brise qu’embaument les senteurs de l’étendue, tout annonce une matinée radieuse comme il dut y en avoir à la naissance du monde. Ma poitrine se gonfle d’allégresse, tout mon être déborde de la joie de vivre la plus franche ; instantanément, j’oublie les fatigues des jours précédens, l’inquiétude de ma nuit… et comme l’eau du puits est abondante, pas trop boueuse, je prolonge avec délices mes ablutions dans la cour, d’autant plus que, depuis deux jours bien longs, — oserai-je l’avouer ? — je n’ai pu faire ma toilette ! Autour de moi se presse un cercle de mendians, d’infirmes, d’indiscrets dont je ne tiens aucun compte.

Partout, dans les moindres agglomérations, l’on est harcelé par une troupe affreuse d’aveugles, d’êtres sordides couverts d’ulcères. Les vieilles femmes, réduites à l’état de squelettes, sont les plus impressionnantes. Il en est qui peuvent à peine se