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A l’aube, deux cavaliers surgirent d’entre les palmiers et s’arrêtèrent devant leur chef. Le colloque fut rapide ; puis un ordre, quelques gestes, et une ordonnance amena au commandant son cheval tout selle. J’accourus pour le saluer.

Sans me dire de quel côté il se dirigeait, il m’annonça cependant son retour prochain et, toujours confiant dans la capture des Italiens, me promit une bouteille de Champagne pour fêter cet heureux fait d’armes. Il partit, et je n’eus plus l’occasion de le revoir.

Si les Italiens, par cette occupation de Bon Kamech, avaient pour objectif de couper la route aux caravanes, il ne semble pas qu’ils aient aujourd’hui beaucoup avancé dans la réalisation de ce projet.

Méconnaissons que les difficultés sont grandes, autant par l’insalubrité de la région que par son manque total de ressources. Il faudra, de toute nécessité, procurer de l’eau aux troupes, que cette eau vienne de Sicile ou d’ailleurs.

Et pour rendre le blocus effectif, il y aura, le long de la frontière, des centaines de kilomètres à couvrir, car la route des caravanes s’infléchira vers le Sud, à mesure que les Italiens s’avanceront. Autant de postes à tenir en relation étroite les uns avec les autres, et que l’indigène harcèlera.


Le « soldat, » régulier ou mercenaire, reçoit par jour un kilogramme de farine ou d’orge grillée et concassée, avec laquelle il se fait une pâtée à l’huile. De plus, il touche une solde de 20 francs par mois.

Pour beaucoup, faméliques des solitudes, c’est la sécurité de la pitance et presque la fortune. Payés régulièrement ils accourent, n’ayant jamais connu pareille aubaine. Or, tandis que les soldats touchent une solde inespérée par son importance et sa régularité, les officiers ont vu la leur réduite des trois quarts. La promesse leur a bien été faite qu’à la fin des hostilités, l’arriéré leur serait versé, mais cette promesse est soulignée de gestes hypothétiques et ils s’entraînent à n’y pas trop croire. Quel est celui qui me disait, au sujet de cette inégalité de traitement entre l’officier et l’homme de troupe :

— Prisonnier de son devoir, l’officier restera. Mais le soldat ! Qu’on tarde à le payer régulièrement, et l’on verra plus d’une bande se dissoudre et disparaître !