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L’un de ces chameliers, coiffé de la calotte blanche en tricot, dont le dessin vient d’Assyrie, rond de visage et trapu comme un archer de bas-relief, parle d’une voix musicale : il a des rires chantans qui lui feraient beaucoup pardonner, s’il me laissait plus de repos.

Un matin, nous atteignons un groupe de masures où nous apprenons bientôt, parmi les vociférations des hommes, parmi l’épouvante des bédouines, que les Italiens ont envahi le pays, qu’ils vont, d’un moment à l’autre, pénétrer dans l’oasis. Il semble déjà qu’il y ait un soldat ennemi derrière chaque palmier.

Là-dessus, mes chameliers, craignant la capture de leurs bêtes — toute leur fortune ! — refusent de me conduire plus loin, font plier le genou à leurs chameaux et répandent sur le sable tout le chargement.

Colère, discussions, menaces, rien n’y fait. Il faut se soumettre. Après le règlement des comptes, j’aperçois, sous les haillons de l’archer au bonnet blanc, l’un de mes couteaux de cuisine. Il consent, en riant, à le rendre à mon interprète et dit qu’il s’en était emparé pour se venger si je lui avais fait tort. Il y a foule autour de nous, foule hostile, prête à croire ce bandit qui cherche à me faire passer pour un espion italien.

Et cependant, depuis mon entrée en Tripolitaine, je ne porte que le fez, coiffure insuffisante qui, malgré tous les voiles, m’a valu un coup de soleil où mon visage se cuit.

Très préoccupé de la situation, tout à la recherche de nouveaux chameliers, je me rends chez le cheik avec mon interprète, environné d’oisifs et de curieux, quand je me sens tiré par le bras. Je me retourne et j’aperçois mon chamelier qui cherche à me baiser la main, tout en me débitant des remerciemens et des souhaits de bon voyage ! Tout est imprévu et contrastes en ce pays. Pour notre soulagement, nous apprenons, un peu plus tard, que les Italiens sont loin. Actuellement, ils n’ont pas encore pris le village !

Un jour, je rencontre des blessés qui retournent chez eux à dos de chameaux.

L’un d’eux a le poignet cassé, à peine enveloppé d’un chiffon noir de crasse. Un autre a sa culotte de cotonnade tout éclaboussée de sang. Deux balles lui ont traversé les cuisses. Un autre encore a une plaie au front, des marbrures de sang sur