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sécurité et la capacité qu’ils procuraient à la femme mariée, nous ne pouvons nous empêcher de signaler, au sein des pays basques, qui se distinguent déjà par l’adoption de la communauté de conquêts, un îlot qui nous présente un type de demi-matriarcat. Nous voulons parler de la vallée de Barèges. Ici, la primogéniture effaçait la distinction des sexes. La fille aînée était héritière et, quand elle se mariait, elle gardait le nom de sa famille, elle le transmettait à ses enfans, elle devenait le chef de celle qu’elle fondait, elle administrait le patrimoine et en disposait.

Nous n’avons pu nous occuper des intérêts matériels de la femme mariée, tels qu’ils étaient réglés par la législation et les conventions matrimoniales, sans toucher par cela même, sinon expressément du moins en fait, à sa situation morale. Comment, en effet, la capacité que cette législation et ces conventions lui accordent ou lui refusent pour l’aliénation et l’administration des biens, les moyens qu’elles mettent à sa disposition pour défendre ces intérêts, n’auraient-ils pas influé sur son indépendance, sur son autorité, sur sa dignité ? Elle obtiendra d’autant plus d’égards pour sa personne qu’elle sera plus protégée dans ses biens. Nous avons dit le compte qu’il faut tenir des limites que le régime de communauté avait mises, à cet égard, à l’exercice de l’autorité conjugale. Nous avons remarqué que, dans la région qui obéissait à la loi romaine, le droit matrimonial ne semblait ignorer la puissance maritale que pour soumettre l’un et l’autre des époux à celle des ascendans ; mais on verra bientôt par la condition faite à la veuve, dans cette région comme dans la région coutumière, ce qu’il faut penser de celle de la femme mariée. Il apparaîtra alors que, si elle n’avait pas à se plaindre de la loi, elle avait beaucoup à se louer des mœurs.

C’est qu’en effet sa condition, envisagée au point de vue moral, subissait encore l’influence de certaines circonstances, de certaines idées, de certaines habitudes d’une portée générale. Il faut toujours se rappeler, quand on écrit un chapitre de l’histoire morale, le poids dont la vie publique a pesé sur les destinées privées. : Que d’intelligences et d’aptitudes perdues ou mises à profit, que d’existences dévoyées ou utilement dirigées selon qu’elles sont laissées à elles-mêmes ou qu’elles s’encadrent et se disciplinent dans des institutions autonomes et traditionnelles !… De tous les effets de près de trente ans de guerre