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PETITE GARNISON MAROCAINE.

motifs d’ornement des volets, au fouillis fantaisiste et patient du cintre de la porte, des larges frises, des étroites rosaces par où le soleil sème sur toute cette grâce un peu mièvre une poussière d’améthystes et d’opales, d’émeraudes et de rubis. Elle se fixe enfin au plafond partagé en caissons gigantesques où l’habileté du décorateur produit des effets surprenans : les tracés géométriques se sont transformés en feuillages et en fleurs dont une longue tradition a sans doute fixé les contours, mais qu’une palette riche et bien composée a parés de fraîcheur et d’originalité. Deux chambrettes dissimulées par des portes qui retiennent l’attention, une cuisine et une office vaste comme celles de Pantagruel, des cabinets spacieux, la salle de bains, le hammam complètent cette luxueuse demeure où le touriste, sans effort, rèvfr des Mille et une iSuits.

Un dédale de couloirs que fermaient des portes bardées de tôle conduit à gauche vers l’appartement des femmes, qui sert aujourd’hui de caserne aux soldats coloniaux. Quatre longues chambres, que protège une double enceinte de hautes murailles, se dissimulent derrière des arcades qui entourent une tour carrée ; souvent les marsouins y trompent leur ennui par des impromptus fantaisistes où revivent les souvenirs de la Rue du Caire et des turqueries de Port-Saïd. À droite, s’ouvrant sur un vestibule où les sculptures des frises, les carreaux blancs et verts du sol mettent des tonalités gaies, la demeure de Si-Mohammed, l’ainé des fils de Si-Ahmed, montre ses colonnes légères, ses boiseries de cèdre et de thuya, son patio remarquable par l’immense rosace en mosaïque qui dessine un tapis somptueux, la richesse de ses lambris, le mystère de ses recoins. C’est là que Si-Mohammed mourut prématurément de sa belle mort, après avoir longtemps tremblé au souvenir des scènes qui avaient épouvanté sa jeunesse : le réseau d’énormes barres de fer qu’il fit sceller sur les frises du patio le rassurait à peine contre les pillards dont il redoutait l’irruption par les terrasses de la kasbah.

Partout ailleurs, dans les colossales constructions entassées par Si-Chafaï et que ses descendans n’ont pas eu le temps ou les moyens de restaurer, la rage des révoltés pendant la siba qui suivit la mort du sultan Moulay-Hassan a dépassé le vandalisme de nos sans-culottes pendant la Révolution. Mais les vestiges qui en subsistent laissent une impression plus vive