Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
REVUE DES DEUX MONDES.

le pinceau et le racloir ; sous leurs mains diligentes, les loge-mens miséreux prenaient un aspect confortable et coquet. Les plus maladroits rendaient leur blancheur primitive aux vestibules et aux couloirs ; ils badigeonnaient la mosquée, changée en réfectoire et en salle de réunion ornée de cartes et de gravures, où l’on voyait en belle place le tableau d’honneur de la compagnie. Un dessinateur-ornemaniste y avait inscrit avec un soin pieux les noms des camarades tués ou blessés à l’ennemi pendant la campagne précédente, et de ceux qui, moins heureux, étaient morts sans gloire dans les hôpitaux.


Ainsi, une vaste école d’Arts et Métiers bourdonnait dans la kasbah. Mais les occupations manuelles ne faisaient pas oublier l’entraînement guerrier. Deux ou trois fois par semaine, on lâchait les outils pour le fusil, et les épaules reprenaient contact avec le sac chargé. Ces prises d’armes, d’ailleurs, n’inspiraient plus l’esprit inventif des carottiers. Les jarrets cotonneux et les poumons en soufflets de forge de leurs débuts au Maroc leur laissaient un cuisant souvenir ; ils ne voulaient pas s’exposer, par leur paresse, à revivre ces jours douloureux. Les soldats qui étaient en France, aux jours traditionnels des marches militaires, les cliens persévérant du médecin, se montraient les plus empressés à pousser les cailloux sur les pistes des environs. Et les officiers admiraient chaque fois, au moment du départ matinal, la page blanche du « cahier de visite, » et les rangs au complet.

On ne s’évertuait pas à combiner, pour ces sorties utilitaires, de mystérieux thèmes tactiques et d’inédits « cas concrets. » Les gradés étaient déjà rompus à la routine des évolutions, comme aux imprévus du service en campagne ; le galon de l’engagé soulignait toutes les manches des soldats, et le détachement était fier du nombre de ses fins tireurs. Il suffisait donc de maintenir intactes la résistance à la fatigue et l’aptitude à la marche, qui s’étaient développées pendant les courses vers Fez et vers Meknès, et pendant le retour en Chaouïa. L’éventualité, toujours immédiate et toujours différée, d’une nouvelle entrée en campagne était d’ailleurs un énergique excitant : les coteaux et les vallons se nivelaient sous les pieds légers ; une excursion de trente kilomètres ne méritait plus les honneurs de la grande halle et le viatique du repas froid.