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que de la duchesse, ses trois dames d’honneur, Mmes Höpken, Hamilton, Saint-Priest et moi…

« Le Régent me traite avec une froideur marquée qui ne me parait pas affectée, mais dérivée d’un fond d’humeur. J’ignore cette nouvelle raison de me bouder depuis son retour, puisque nous nous séparâmes en bons termes lors de son départ en voyage. Mais aussi je me sens un fond de résignation inépuisable à endurer ses boutades, sans vouloir seulement en connaître la raison, ayant de mon côté des sujets de griefs contre lui, qui ne s’effaceront jamais de mon âme.

« Sa persécution, sa haine contre toi, dont je reçois constamment de nouvelles preuves, me font croire que je ne réussirai pas dans mes négociations pour ton retour. Quand le Roi est arrivé à Gothembourg, on lui a annoncé la nouvelle certaine de ta mort. On aurait pu croire que cette nouvelle devait, pour le moment du moins, désarmer la haine du Régent. Point du tout. En présence même du Roi, il en a marqué une joie barbare, et, pour la justifier, il t’a diffamé. Le Roi a baissé les yeux. Gyldenstolpe, Horn et Essen se sont tus ; les autres en bas valets étaient de l’avis du Régent, qui n’avait pas même le sens de l’indignité de leur conduite. Mais, si jamais l’occasion s’en présente, je la lui ferai bien comprendre, ce qui lui fera faire un retour sur la sienne dont il devrait rougir.

« Il affecte au reste un grand fond de gaieté ; ce n’est qu’un jeu, car il doit se trouver dans de mauvais draps. L’Impératrice doit lui avoir écrit tout récemment une note plutôt désagréable et, malgré son extrême économie, il se trouve dépourvu d’argent, son projet d’emprunt n’ayant pas réussi. M. l’ambassadeur Staël était chargé de persuader à son beau-père de prêter au Régent son argent, au lieu de le placer en France, à un taux plus élevé. Necker y a consenti ; mais l’Assemblée nationale, en apprenant cette transaction, refusa de lui rendre ses fonds ; ainsi cette belle négociation est tombée dans l’eau.

« Nos grands orateurs réduits aux abois se bornent à leurrer le public en lui faisant croire que les économies depuis la mort du feu Roi ont amassé des fonds considérables. Apparemment que la Stolsberg et la Love sont regardées comme les bijoux de la Couronne qui représentent des valeurs et qu’en les vendant, on pourrait éviter la banqueroute, car elles sont les seules dépositaires des richesses de la Couronne.