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l’asservissement avait été la base sur laquelle reposait le vieil édifice.

Quoi qu’il en soit, les textes de l’époque classique nous montrent la femme dans un cadre singulièrement moins austère que celui où elle nous apparaissait tout à l’heure. Une chose, à vrai dire, n’a pas été modifiée : les mariages continuent à se conclure comme par le passé ; il ne parait pas que l’on ait pris l’habitude de consulter les jeunes filles avant de leur choisir un époux. Cicéron, par exemple, est un père très tendre ; tout le monde sait combien il se préoccupe de sa « petite Tullia, » et avec quel désespoir il la pleurera une fois morte : pourtant, quand il s’agit de la marier, il ne semble guère s’inquiéter de ses goûts ; il prend son gendre dans ses amis politiques ; il pense sans doute, comme l’Argan de Molière, qu’une fille d’un bon naturel doit être heureuse d’épouser ce qui peut être utile aux intérêts de son père. Cela ne lui réussit d’ailleurs pas beaucoup : ses déceptions, et les tristesses de la jeune femme, prouvent assez combien il a eu l’égoïsme peu clairvoyant. Est-il besoin aussi de rappeler les mariages successifs de Julie, la fille d’Auguste, tour à tour unie à tous les héritiers présomptifs de l’empire, Marcellus, Agrippa, Tibère, pour des raisons où son cœur n’avait pas la moindre part, comme elle sut du reste fort bien le leur montrer ? Mais chez les amis de Pline le Jeune, dans une société plus « bourgeoise, » moins dominée par les grands intérêts politiques et la raison d’Etat, c’est encore l’autorité paternelle qui est souveraine : tel correspondant de Pline lui demande de lui fournir un gendre, sans songer à faire une place aux préférences de sa fille. Alors encore, presque autant qu’au siècle de Camille ou de Cincinnatus, la femme entre dans la vie conjugale sans savoir ce qu’elle fait, ni qui elle prend.

Seulement, une fois qu’elle y est entrée, elle a sa revanche. Le genre d’existence de jadis, tout de labeur, d’obéissance et d’effacement, n’est plus qu’un souvenir quasi mythique. La matrone, à présent, ne contrôle plus la marche de la maison : elle s’en repose sur des intendans. Elle n’allaite plus ses fils : elle les confie à des nourrices mercenaires. Elle ne dirige plus leur éducation : elle en abandonne le soin à des esclaves, souvent à de médiocres esclaves, si bien que les moralistes comme Tacite voient dans cet usage une cause essentielle du déclin de la société. Quant aux travaux domestiques, les épitaphes