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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/779

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inquiète et jalouse des proches parens, héritiers présomptifs, et, en attendant, gardiens inquisitoriaux des biens de l’orpheline. La tutelle primitive était instituée dans l’intérêt des tuteurs : celle-ci le fut dans l’intérêt de la pupille. Le mari avait, à cet égard, la même faculté que le père, et quand la sympathie avait présidé aux rapports conjugaux, il nommait, lui aussi, un tuteur qui devait être pour la veuve un ami, et non un tyran. Il pouvait encore, au lieu d’indiquer un tuteur, conférer par testament à sa femme le droit de le choisir elle-même, et, peu à peu, l’usage s’établit d’interpréter en un sens très large cette autorisation : on reconnut à la veuve la liberté de faire son choix, non pas une fois pour toutes à la mort de son mari, mais aussi souvent qu’elle avait un acte légal à accomplir, en prenant pour chacun de ces actes un nouveau tuteur. Dans de pareilles conditions, la tutelle devenait peu gênante ; elle se réduisait à une simple et illusoire formalité, — comme bien des obligations qui avaient eu, dans l’ancien droit, une autorité impérieuse, qui continuaient à subsister en apparence parce que le génie romain a toujours répugné à détruire les vestiges du passé, mais qui ne subsistaient qu’à l’état d’enveloppes vides, desséchées, destituées de toute efficacité vivante.

Dira-t-on, peut-être, que les expédiens que nous venons de décrire sont subordonnés à la bonne volonté du père ou du mari, qu’ils ne constituent donc pas à la femme une liberté assurée ? Cela est vrai ; il y aurait quelque péril à trop idéaliser les mœurs romaines, à se figurer les relations familiales ou conjugales comme empreintes toujours d’une douceur idyllique. Même à une époque relativement récente, il continua à y avoir des pères et des maris assez despotiques pour ne pas admettre que leurs filles ou leurs femmes fussent, après leur mort, exemptes de la vraie tutelle, de la tutelle stricte et rigoureuse, telle qu’on l’avait jadis entendue. Seulement, celles-ci ne se tinrent pas pour vaincues. Ce qu’on ne voulait pas leur concéder de bon gré, elles le conquirent par un moyen détourné, grâce à la complicité de jurisconsultes peu sévères et d’hommes d’affaires peu scrupuleux. Le formalisme des codes romains, très gênant à première vue, était au fond très commode pour qui savait l’exploiter. La loi ne permettait pas à la femme en tutelle de s’émanciper de ses tuteurs, mais elle lui permettait de se marier ; et l’autorité de son mari, sa manus, annihilait la