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PETITE GARNISON MAROCAINE.

victoire des Fazi. Ils invitaient les Beni-Meskine à l’union, et s’efforçaient de leur démontrer combien il serait facile de chasser les Roumis, maintenant diminués des 18 000 hommes que les gens de Fez avaient massacrés. Mais les Boni-Meskine étaient sourds à ces appels. Ils savaient que les Français n’étaient pas tous morts ; qu’il en restait encore assez pour promener de poste à poste, en « colonnes de police, » des soldats à casque, et des « fusils du diable, » et des canons. Ils voyaient le calme de leur garnison, l’indifférence des marsouins, l’imperturbable fidélité des goumiers. Ils raisonnaient sur ces apparences qui leur prouvaient la force intacte des Français, et les risques d’une aventure. Ils priaient donc les Tadla d’agir seuls ; leurs succès entraîneraient alors les indécis, mais, en attendant, les Beni-Meskine ne pouvaient que les aider de leurs vœux.

Les Srahrna faisaient aussi des réponses dilatoires. Des intérêts plus immédiats les sollicitaient. Aux fantasias sans résultats précis dans les plateaux caillouteux et déserts qui environnent Dar-Chafaï, ils préféraient les joies moins dangereuses de la siba. Ils avaient déjà invité les fonctionnaires du Maghzen à déguerpir vers Marrakech, et la violence avait eu raison des caïds récalcitrans. Les Tadla restaient donc provisoirement seuls, dans la région, pour jouer contre les Français une partie décisive. Les souvenirs de la colonne Aubert leur montraient qu’elle n’était pas sans dangers. Leurs énergies se dépensaient en menaces lointaines, et l’indécision générale dissipait comme des nuages leurs rassemblemens belliqueux.

Dans la kasbah, les marsouins maugréaient devant leurs souliers neufs et leurs armes fourbies. Ils ne croyaient plus à la course vers Marrakech. Ils se voyaient condamnés à la garde pacifique d’une bicoque, tandis que leurs camarades bataillaient sans relâche aux alentours de Fez. Ils auraient volontiers troqué le confortable relatif qu’ils devaient à leur industrie contre leur ancien bivouac de Dar-Dbibagh, malgré le cauchemar de misère et de maladie qu’il évoquait. Ils souhaitaient l’irruption tant de fois annoncée des Tadla dans le village, pour se venger sur eux de leur inertie et de leurs déceptions. Et, persuadés enfin de la vanité de leur rêve, ils se laissaient tout doucement glisser vers un fatalisme désenchanté.

Cependant, les plus vieux avaient encore l’illusion tenace. Ils conservaient l’espoir de ne pas terminer à Dar-Chafaï leur séjour