Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
REVUE DES DEUX MONDES.


II

La bonne, la fraîche odeur de campagne qui semble vous arriver par bouffées, lorsque vous ouvrez le livre ! Les Myricae vous transportent dans un village de « la Romaine ensoleillée, doux pays ; » elles font paraître à vos yeux la tour blanche de l’église, la maison du curé, les fermes et les chaumières ; an carrefour, la Madone, avec ses fleurs de lys ; sur la route, les bœufs qui rentrent ; les peupliers au bord de l’eau, et le vieux pont qui regarde passer le ruisseau indolent. Plus loin, voici les champs, dans la joie d’avril ou la sérénité d’octobre, selon le jour où vous suivez le chemin des saisons. Et tout cela, sans descriptions proprement dites : par indications brèves, qui notent les couleurs avec les forums, Ce n’est pas un décor d’opéra, tout rangé, dont les pièces se suivent ; ce sont des impressions indépendantes, qui forment un ensemble, à la fin, par leur tonalité générale plutôt que par l’ordre de leur succession. Nulle trace de cette idéalisation mignarde, qu’un vieil héritage littéraire impose encore quelquefois quand on parle des choses rustiques ; ni de ce réalisme grossier, dans lequel on se jette par réaction : de la vérité, tout simplement. Nous pouvons écouler, sans crainte d’être dupes d’une émotion banale, le bruit des cloches dans le soir, parce que nous entendons aussi le sifflet du chemin de fer ; le vent chante dans les fils télégraphiques. Laissons-nous aller à la tristesse de l’automne, puisque nous savons que la bonne fermière ne partage pas notre mélancolie ; elle est heureuse de penser que la moisson a rempli ses greniers, et la vendange ses tonneaux ; l’hiver peut venir : sa provision d’œufs est faite. L’auberge est pleine de buveurs bruyans qui s’assemblent au coup de midi ; le vieux mendiant trempe son pain dans l’eau de la fontaine ; les commères, en petit groupe, parlent du gouvernement, du vin qui coûte cher, du fils qui va sur ses vingt ans, et des bêtes, qui dévorent sans engraisser. Ces menus traits, d’un pittoresque familier, nous rassurent sur l’authenticité de l’ensemble et donnent je ne sais quelle sécurité à notre plaisir.