Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
REVUE DES DEUX MONDES.

rendu. Il reprochera quelque part à Léopardi d’avoir parlé « d’un bouquet de roses et de violettes, » — comme si roses et violettes fleurissaient dans la même saison ! — et d’avoir écrit l’éloge des oiseaux sans citer un seul nom, sans nous dire s’il s’agissait de roitelets, de fauvettes ou de pinsons. La poésie, au contraire, doit vivre de détails, de détails scrupuleusement observés, et minutieusement traduits. C’est dire qu’il bannit de ses vers non seulement la rhétorique, mais l’éloquence : mérite plus rare. Dans quelques-unes de ses pièces, il s’efforce menu ; de fixer l’effet fugitif qu’un instant détruit : effet de soleil, de pluie, ou de neige. Il nous donne alors de véritables eaux-fortes ; il cherche les mots les plus expressifs et les rythmes les plus condensés pour reproduire en traits incisifs sa vision.

Cet art très objectif est tout pénétré de sentiment. Ce pourrait être la haine de la nature marâtre, qui met au monde les créatures pour les torturer, si nous ne nous rappelions ici la bonté essentielle de Pascoli : il ne se lasse jamais d’exprimer sa douleur, parce qu’il ne l’oublie jamais : mais de sa souffrance, plutôt qu’à la légitimité de la révolte, il conclut à la nécessité du pardon. Désirer la vengeance, blasphémer ou maudire, ne serait-ce pas perpétuer le mal sur la terre, et prendre rang parmi les coupables ? Ayant éprouvé qu’il y a dans la vie un insondable mystère, ils doivent se serrer les uns contre les autres, ceux que le même mystère angoisse ; ils doivent se chérir et s’entr’aider, pour prendre leur revanche contre le sort. La pitié, la tendresse, la douceur, voilà donc les sentimens qui pénétreront les vers du poète, et qui, partant des hommes, aboutiront aux choses. Parmi les hommes, il s’intéressera d’abord aux victimes, aux orphelins, aux malades ; puis aux humbles, aux pauvres, aux misérables ; puis encore, aux simples et aux primitifs. Pareillement, il aimera les arbres qui frémissent au vent, les fleurs qui tremblent sur leur tige, et la faiblesse gracieuse des oiseaux : comme saint François d’Assise, puisqu’on a dit de lui qu’il était un Virgile chrétien, ou un saint François païen ; comme ce Paolo Uccollo dont il a écrit la touchante histoire. Il aimera toute la nature : soit qu’il aperçoive en elle des symboles, et veuille voir des berceaux dans les nids ; soit qu’il manifeste une reconnaissance émerveillée pour les tableaux de beauté qu’elle lui présente ; soit qu’il l’associe aux hommes dans la lutte contre le mystère qui l’enveloppe elle-même, il finit par la