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tout près c’est déjà la plaine aride. Il fait bon se reposer de la fatigue et du souci de vivre ; il fait bon dire boukra aux roumis, être porté au balancement tranquille des mules, dans les effluves des arbres en fleurs. Sur le ciel sans tache les amandiers s’épanouissent en bouquets blancs : la nature célèbre encore une fois ses noces éternelles dans la musique du vent qui frémit sur les oliviers et les saules. Les feuillages bruissent et se retournent avec des miroitemens d’argent. On se laisse envahir par cette griserie tranquille où s’exalte le simple plaisir d’être, de respirer, d’ouvrir et de fermer les yeux à la palpitation de la lumière. C’est le grand silence des grandes voluptés : le vizir, les esclaves, les épouses, tout est muet. Seul le petit serin jaune chante dans sa cage. Car il est de la fête, bien arrimé, tout en l’air sur un bât au-dessus de tout l’attirail des tentes, des piquets, des bouilloires et des théières pointues qui dansent au pas des mules avec un bruit de cymbales.

Et voici, entre ses murailles, le jardin clos, la retraite parfumée, l’abri sacré des doux sommeils, des longues rêveries oisives que berce le jasement de l’eau, l’eau qui court dans les canaux de faïence, et baigne à gros bouillons froids les pieds des orangers. La tente se dresse, et le sol s’adoucit, sous les tapis de haute laine verte, diaprée de rouge et de blanc, qui ressemblent aux prés où s’étirent les marguerites au cœur jaune et les coquelicots. Les divans, les coussins, brodés à petits points serrés par les jeunes filles, au fil des longues heures, derrière les murs inviolables, tout se prépare pour le repos du vizir. Le triste voile noir tombe du visage des épouses, et de leurs corps les grands haïks où elles étaient enfermées comme dans des gangues.

Et l’on voit à nouveau dans l’ombre dense, sous les branches lustrées, le chatoiement des perles, les rayons brisés des émeraudes barbares, les frissons de feu sur les têtes serrées dans les mouchoirs à ramages, et la paresse voluptueuse des corps qui s’allongent, des membres qui s’étirent, des yeux qui brillent avec de longs éclairs noirs, et s’éteignent subitement dans la langueur des paupières closes.

Beauté ! Sommeil ! Silence ! « El Kessel Kif el Assel, » le repos est pareil au miel. Les abeilles bourdonnent, enivrées par les fleurs de cire dont le parfum met dans l’air une pesanteur.