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gés albanais. La Chambre a donc été dissoute et on a cru tout de suite à l’apaisement de l’insurrection. C’était malheureusement aller trop vite et prendre son désir pour la réalité. S’il y a eu ralentissement momentané dans l’insurrection albanaise, il n’y a pas eu apaisement véritable. Les Albanais, jugeant de la crainte qu’ils inspiraient par les concessions qu’on leur avait faites, ont continué leur entreprise révolutionnaire et, mêlant la ruse à la violence, ils sont entrés par petits groupes armés à Uskub devant les troupes ottomanes qui les ont laissé faire, soit qu’elles n’eussent pas d’ordres, soit qu’elles ne les aient pas exécutés. On a appris un jour que les Albanais étaient en fait maîtres d’Uskub et le bruit s’est répandu qu’ils ne s’en tiendraient pas là : leur mouvement devait se continuer vers le Sud, du côté de Salonique. Ils n’avaient pas besoin d’aller si loin pour provoquer un soulèvement général des Balkans. Les diverses populations de la péninsule en acceptent l’occupation par les Turcs parce qu’elles regardent cette occupation comme temporaire, jusqu’au jour où elles seront elles-mêmes en état d’y substituer la leur. Et chacune rêve de s’emparer du même pays que les autres. Les mêmes territoires doivent servir à faire la grande Serbie, ou la grande Bulgarie, ou à compléter le royaume de Grèce, ou à arrondir celui du Monténégro, ou à étendre la domination des Albanais ; mais en attendant que l’exécution de ces projets mette le feu entre elles, toutes ces populations rivales regardent la Turquie comme l’entrepôt où elles ont relégué leurs espérances, et on peut dire du Turc ce qu’on a dit autrefois chez nous de la République, qu’ils sont ce qui les divise le moins. Le statu quo actuel, considéré comme provisoire, peut donc se maintenir encore quelque temps, peut-être longtemps ; mais le jour où un des pays balkaniques s’emparera d’un lopin de terre en dehors de ses frontières, tous les autres voudront eux aussi réaliser les grandes destinées où leur imagination se complaît et quelquefois sommeille ; le réveil sera général, et Dieu seul sait ce qui se passera ! Le gouvernement ottoman s’en doute toutefois un peu lui aussi, et c’est pourquoi il a été sérieusement inquiet quand il a vu que les Albanais, entrés sournoisement à Uskub, menaçaient d’étendre leur mouvement encore davantage. Secoué par l’imminence et la gravité du péril, il a eu un sursaut d’énergie. Des troupes ont été concentrées au Sud d’Uskub, et un ultimatum a sommé les Albanais d’évacuer la ville dans un délai très court, faute de quoi ils en seraient expulsés par la force. Ils ont cédé. Les chefs de l’insurrection n’ont pas voulu compromettre les résultats déjà si considérables qu’ils avaient obtenus, sans compter