— Ah ! vous avez des nouvelles…
— Oui, je l’ai rencontré, aux Folies-Bergère…
— Ah ! aux Folies-Bergère.
— Il n’était pas seul…
— Ah ! il n’était pas seul ?…
Jérôme haussait les épaules, gêné et, sans s’en douter, répétait les mots à la façon de la tante Anna. Malard toussait par contenance. Ils n’étaient bavards ni l’un ni l’autre ; tout de même, le baron était surpris du laconisme de Jérôme.
— Et sa femme ? demanda-t-il.
— Le mieux du monde !
À cette réponse banale, l’étonnement de Malard s’accrut. Jérôme, les lunettes quittées, se frottait le visage, pétrissait le globe de ses yeux clos. Peut-être cherchait-il quelque chose à dire, quelque détail à donner sur la fugue de son fils, sur l’état de Marthe ; mais rien ne venait. Tout à coup, ses mains tombèrent et découvrirent sa face altérée. Comme il avait changé en quelques jours ! Malard eut envie de lui crier : « Qu’est-ce que vous avez ? Vous êtes malade ? » Il se retint. D’ailleurs Jérôme, après ces minutes d’égarement, retrouvait ses esprits :
— Venez voir où nous en sommes, dit-il. Ah ! nous n’avons pas perdu notre temps ici, malgré les syndicalistes, anarchistes et autres fumistes… Les sous-sols sont achevés. Nous avons posé les poutres et les solives. Ça ne se raconte pas. Venez sur les lieux.
Et Jérôme Baroney entraîna le baron Malard vers le château… Le baron hésita un instant, puis les poings dans ses poches, comme un homme qui renonce momentanément à ses projets, il emboîta le pas rapide de son architecte.
Certes, il brûlait de revoir les travaux. Mais le lendemain, il ne parut pas sur le chantier. Il alla d’abord à Filaine. Jérôme l’inquiétait. Cette indifférence à l’égard des siens, ce regard mort, n’étaient pas naturels.
— Ces ravages ne m’ont pas échappé, dit Gabriel. Sa froideur n’est qu’en surface. La vérité est qu’il n’est pas habitué à cumuler les soucis de nature aussi différente. Et comme il n’a jamais employé qu’un moyen de se consoler et de conjurer le sort contraire : travailler davantage ; alors, il se tue. Il veille tous les soirs. Il met les bouchées triples. Il se laisse de plus en plus reprendre par son cabinet de Paris.