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apparue la seule vérité incontestable. Dans l’apaisement même, sa conscience délicate et timorée gardera cette obsession maladive du péché. De ces sentimens intimes, dont les premiers sermons et les premiers livres ont gardé l’écho : « Heureux ceux qui pleurent leurs péchés… Toi seul. Seigneur, les connais tous. La multitude de tes miséricordes ne sert à rien, là où ne se rencontre point la multitude de nos misères. Tout notre effort doit être d’exalter, d’aggraver nos fautes…, de nous accuser, de nous juger, de nous condamner nous-mêmes… Nous devons sans cesse nous être suspects, craindre, pleurer…, toujours pécheurs, toujours immondes… Le péché est notre être. » — Mais si nous sommes tels, infailliblement et inlassablement, où est notre salut ? Ainsi l’angoissante question qu’il se pose lui révèle le sens du christianisme. Le Dieu vivant qu’il cherche, n’est point celui de la dialectique et des systèmes, mais ce Dieu qui justifie, qui rassure et qui console. Croire à sa bonté, nous abandonner à sa grâce, ne chercher qu’en Lui et par Lui seul, non dans nos vertus, nos pratiques ou nos œuvres, le pardon et la paix : voilà toute la religion. « Se tenir debout par nos propres forces, écrira Luther en 1516, j’ai été, moi aussi, dans cette erreur, et je lutte contre elle… La foi seule est notre joie. » Sa pensée religieuse a sa genèse dans cette expérience morale. Sa psychologie prépare sa théologie. Pour que le sentiment s’érige en dogme, que faudra-t-il ? Sur ce fond de pessimisme et d’absolu que renferme sa nature, les influences qui vont agir sur son esprit.


Celles-ci sont complexes. Luther grandit à cette aube de siècle où dans le ciel de la pensée se croisent les lueurs les plus diverses, rayons pâles, confus, des choses qui finissent ou des choses qui commencent, et dont cette âme va s’imprégner. On peut dire que de 1501 à 1516, tous les courans, tous les contrastes de son époque, Moyen Age et Renaissance, rationalisme et mysticisme, passé et avenir, en lui viennent se rejoindre. Peu de cerveaux sont plus souples et plus ouverts. Pour le jeune moine, l’étude n’était point seulement une sauvegarde, mais un besoin ; cette activité intellectuelle lui laisse à peine le temps de dire ses Heures ou de « célébrer. » Il cherche partout, lit tout, retient tout. Sa curiosité inlassable n’a d’égale que sa rapidité à assimiler ou sa puissance à retenir. Avec la Bible son