Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son gré, sur les remous humains comme ces rayons qui tombent sur la crête des vagues. La vérité religieuse s’infuse, opère en nous, sans nous, et malgré nous-mêmes : l’homme n’est plus rien et Dieu est tout. Mais, pour épurer la foi, on voit ce que Luther supprime dans le christianisme : non pas tant l’héritage de la pensée antique, que sa propre tradition. Et il ne change point seulement le sens de la vie chrétienne, mais le sens de la vie, ayant broyé, sous ce mécanisme spirituel, ces moteurs ailés de l’âme, sa liberté comme sa raison, ce par quoi l’homme, dans l’univers est devenu le coopérateur de Dieu.


IV


Suivons l’œuvre de destruction. Après la théologie, l’« Église. » Contre son autorité, doctrinale ou disciplinaire, l’« Écriture » va devenir la seule autorité.

Que, dès 1516, formulant sa doctrine du péché et de la foi, le réformateur ait eu le sentiment de se séparer de l’unité catholique, c’est là une idée qu’on ne saurait lui imputer. Il entend être avec l’Église, dans l’Église. Encore moins la recherche d’un principe intérieur de religion l’entraine-t-elle à rejeter un organisme extérieur. « L’Église, dit-il dans son Commentaire sur les Psaumes, est le corps vivant, dans lequel tous participent pour tous… » Nul doute alors sur la primauté de Rome « qui demeure dans la vraie foi. » Nulle attaque contre les autorités du sacerdoce. Et, en 1516, quand apparaît déjà un système luthérien, la liberté des critiques s’arrête devant l’institution. « L’Église, de même que toute parole tombée de la bouche d’un de ses chefs, est la parole même du Christ… » Il n’en discute ni les lois, ni la hiérarchie. « Celui qui se sépare de cette unité, de cet ordre, peut s’applaudir de grandes lumières et d’œuvres admirables ; cela n’est rien… « Ces affirmations d’obéissance, nous les retrouvons encore en 1517, au lendemain des premières controverses, et jusqu’à la fin de 1518. Luther ne croit pas seulement que sa doctrine est conforme à celle de l’Église : au jugement de l’Église il prétend la soumettre et se soumettre, dépendant, et déjà même, tout en gardant la notion traditionnelle de l’institution ecclésiastique, il l’idéalise et l’affaiblit.

Église spirituelle et Église positive, Église de la foi et Église de l’histoire : cette conception, Luther l’avait trouvée avant lui.