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ment, plus elle nous fera voir de rapports cachés et décelables par l’expérimentation, plus elle sera utile, plus elle sera commode, plus elle sera vraie.

Mais la vérité d’une théorie ne doit pas être entendue au sens que lui donnent les gens du monde. « Nulle théorie ne semblait plus utile que celle de Fresnel qui attribuait la lumière aux mouvemens de l’éther. On lui préfère aujourd’hui celle de Maxwell qui l’attribue à des courans électriques oscillans. Cela veut-il dire que la théorie de Fresnel était erronée ? Non, car le but de Fresnel n’était pas de savoir s’il y a récemment un éther, s’il est formé ou non d’atomes, si ces atomes se meuvent réellement dans tel ou tel sens ; c’était de prévoir les phénomènes optiques. Or cela, la théorie de Fresnel le permet toujours, aussi bien qu’avant Maxwell. « Ce qui change, ce sont les images par lesquelles nous nous représentons les objets entre lesquels la physique découvre et établit des rapports ; des raisons variées nous font de temps en temps remplacer ces images, qui d’ailleurs importent peu ; mais ce sont ces images seulement qui changent dans les théories physiques ; les rapports restent toujours vrais s’ils reposent sur des faits bien observés.

C’est grâce à ce fond commun de vérité, que les théories les plus éphémères ne meurent pas tout entières, puisqu’elles se transmettent, comme le flambeau que de main en main se passaient les coureurs antiques, ce qui est la seule réalité accessible : les lois qui expriment les rapports existant entre les choses. Ces conclusions auxquelles arrive Poincaré relativement à la physique s’appliquent à toutes les autres branches de la science, à la chimie, aux sciences naturelles, à ces sciences encore vagissantes qu’on appelle les sciences morales ou sociales, puisque toutes y prennent leur point de départ, puisque toutes, à mesure qu’elles se constituent, ont pour objet final de ramener les lois de plus en plus complexes qu’elles établissent aux lois de la physique, et que c’est donc à celles-ci en définitive que serait réductible la connaissance toute entière du monde extérieur.

Or il est clair que ces conclusions poincaristes réduisent à sa juste valeur, qui est minime, un certain matérialisme vulgaire et naît qui avait fait le rêve d’atteindre l’Absolu et de l’enfermer dans quelques équations différentielles. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de conception métaphysique de la science.