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Gabriel Baroney ne se faisait jamais suivre d’un porte-carnier. Il tenait à honneur de rapporter lui-même toute sa chasse, trop heureux si, la poche de derrière de son veston étant pleine, il était contraint de rentrer au logis… faire de la place, puis de repartir et de continuer ! Car il y a des heures pour rentrer définitivement de la chasse, onze heures, six heures ! Et les jours où Gabriel Baroney chassait, il chassait. Age quod agis ! Pour inculquer des principes à ses enfans, il prêchait d’exemple.

Étienne, lui, n’était guère attentif. Malgré les brefs encouragemens de son père, il chassait sans conviction. Il marchait d’un pas lourd, « butait » sur les mottes de terre, se trompait de direction, ratait tout ce qu’il tirait. Si distrait qu’il fût, il remarqua cependant plusieurs fois que son père haussait les épaules à ses maladresses, et il en fut sourdement irrité : « Vraiment, que lui importait la chasse, en ce moment ? Est-ce qu’il pouvait avoir sa tête à lui ? Son père se consolait bien vite du chagrin de ses enfans ! La chasse, la chasse ! il ne mettait rien au-dessus de la chasse ! » Il résista à l’envie de rebrousser chemin, de fausser compagnie à ce père dont les travers prenaient vraiment trop d’importance.

Gabriel sentait toutes ces nuances et, rapproché d’Étienne pour franchir une haie ou suivre un chemin creux, il ne manquait pas de lui lancer quelque mot affectueux :

— Et puis, vois-tu, mon pauvre ami, dans cette malheureuse histoire, ce n’est pas toi le plus à plaindre.

Ou bien :

— Tu auras ta revanche ! Car enfin tu ne méritais pas cela.

Étienne n’avait point revu Marthe, ni M. Bourin, ni Maxime. Aux récits de son père, le pauvre garçon était entré dans un violent courroux, menaçant « d’arracher, à Maxime, ses oreilles de polisson. » Mais Gabriel Baroney avait remis les choses au point :

— Laissons, à leur place, les oreilles de ce garnement. Il y a des chances pour que le sort se charge de les lui tirer. Ou il va, d’un coup, racheter toutes ses fautes passées, ou il va commettre la plus grande fourberie de sa carrière… Je me demande comment cette pauvre Marthe a pu songer tour à tour à toi, puis à lui… Vous êtes si loin l’un de l’autre, mon cher Étienne ! Au milieu de son cynique triomphe, il fait bien piteuse figure.