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refusent de s’aventurer dans une guerre, et d’accorder une Constitution (1873). Ce sont eux qui l’emportent. Les autres quittent le Conseil, que Kido lui-même abandonne, adressent un manifeste à la nation, et se retirent dans leurs clans. Eto soulève Hizen, Eto est vaincu et décapité. Maebera soulève Choshu, Maebera est vaincu et décapité. Saigo enfin soulève Satsuma (1877) ; toute l’armée impériale doit marcher contre celui qui l’a créée ; la lutte dure neuf mois ; elle est terrible : 14 000 hommes périssent, 20 000 sont blessés, 40 000 emprisonnés, les paysans vont au feu avec les samurai, et les femmes se font tuer comme les hommes. Enfin Satsuma est écrasé ; cerné sur une colline, Saigo s’ouvre le ventre, un ami lui coupe la tête, qu’il enterre ; tous ses fidèles font harakiri. Le commandant des impériaux est Kawamura, le beau-frère de Saigo, il fait rechercher les restes du héros, de crainte qu’on ne répande le bruit de son évasion et de son prochain retour. Le corps du géant est retrouvé, il faut encore la tête ; enfin Kawamura la déterre ; il la saisit par cette touffe de cheveux que les samurai conservent au milieu de leur crâne rasé, il la présente aux soldats, aux paysans accourus, hideuse maintenant, maculée de sang et de boue, les yeux restés grand ouverts dans l’agonie. Saigo est bien mort, le Vieux Japon avec lui.

Mais comment, se demandera-t-on, ces luttes affreuses n’aboutirent-elles pas à l’anarchie ? Pour quelle raison cette œuvre de destruction et de haine devint-elle le principe d’une transformation féconde. ? C’est que la Révolution se couvrait du nom de l’empereur et l’empereur représentait les traditions du Japon, son histoire séculaire, ce patriotisme farouche qui l’avait toujours empêché de se démembrer au cours de guerres civiles, et qui maintenant lui faisait consentir à tous les sacrifices nécessaires pour devenir un grand peuple. Entre la Révolution et le shogun la lutte aurait pu se poursuivre pendant des années, mais Katsu, le ministre de la Guerre du shogun, lui avait écrit : « Le succès de notre armée réserverait au Japon le sort de la Chine ou même celui de l’Inde, » et le shogun s’était remis à la merci de l’empereur. Les daimio auraient pu refuser de céder leurs États, comme les samurai de dissoudre leurs clans : un ordre de l’empereur les avait fait s’incliner. Le peuple d’ailleurs s’éveillait, et le peuple tout entier allait à l’empereur. Il avait haï l’ancien régime, accueilli avec joie l’avènement du nouveau,