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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/417

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Nous, successeur au glorieux trône de nos prédécesseurs, humblement et solennellement nous jurons à l’impérial fondateur de notre maison et à tous nos autres ancêtres impériaux que, en poursuivant une grande politique coextensive avec le Ciel et la Terre, nous maintiendrons l’ancienne forme du gouvernement. Mais, considérant la tendance progressive du cours des affaires humaines,... nous jugeons opportun de formuler les lois fondamentales dans des articles exprès, afin que nos descendans soient guidés par une règle sûre et que nos sujets jouissent d’une plus grande liberté dans l’aide qu’ils nous apportent... Ces lois ne sont en réalité que le développement des préceptes légués par nos ancêtres, et c’est par une faveur spéciale de leurs glorieux esprits que nous avons été assez heureux pour réaliser notre œuvre.


En déposant devant les tablettes de ses ancêtres l’œuvre enfin achevée, Mutsuhito croyait avoir uni tous ses sujets et ceux de ses ancêtres, les vivans et les morts dans un même amour du présent et du passé. Il n’en était rien ; l’œuvre écrite était achevée, l’œuvre réelle commençait à peine, qui devait consister à faire vivre la Constitution dans le cœur de tous les Japonais. Combien l’œuvre réelle était plus difficile que l’œuvre écrite, Mutsuhito l’apprit le jour même où il avait prononcé son serment. Comme il sortait de son palais pour proclamer la Constitution, Mori, le ministre de l’Instruction publique, tombait sous les coups d’un shintoïste fanatique. Aux yeux de la foule, Mori apparaissait comme le propagateur le plus audacieux des idées nouvelles, car, joignant les actes aux paroles, il affectait du mépris pour les coutumes anciennes, pour celles-là mêmes qui avaient un caractère religieux ; dans le temple de Yamada en Ise, consacré à la déesse solaire, fondatrice de la maison impériale, il avait soulevé de sa canne le voile blanc qui cache aux profanes l’entrée du sanctuaire, des cabanes de bois couvertes de chaume, comme il en existait à l’époque préhistorique. C’est pourquoi Mori devait périr et périr au cours d’une cérémonie qui semblait la fête même des idées nouvelles victorieuses du passé détruit. Et ces sentimens n’étaient pas ceux d’un seul homme, c’étaient ceux de la foule, car, l’assassin ayant succombé dans sa lutte contre les amis de Mori, la foule recueillit ses restes, les enterra pieusement et dressa sur la tombe un monument, que visitèrent des pèlerins de tout le Japon. Ces pèlerinages duraient encore ; et pourtant, convoqués aux premières élections législatives, élections pleines de tumultes et de combats sanglans, les censitaires : samurai, médecins, hommes