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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/419

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prête. Voilà donc que tout à coup on apprend une nouvelle incroyable : le commandant Togo (le futur vainqueur de Tsushima) a coulé un vaisseau anglais transportant des soldats chinois en Corée. Togo a obéi aux suggestions de Yamagata : Togo ne sait-il pas que le maître d'Ito et de Yamagata l'approuvera ? L'âme de la guerre, bientôt déclarée, est l'empereur : c'est lui qui, contre le désir d'Ito, permet à Yamagata de passer le Yalu et d'envahir la Mandchourie ; après la prise de Port-Arthur, c'est lui encore qui, malgré les plaintes renouvelées de son premier ministre, décide l'expédition d'Oyama contre Wei hai Wei, la marche de Nozu et de Katsura vers le Nord-Ouest. Mais, la Grande Muraille atteinte, Mutsuhito donne raison à Ito, la campagne est arrêtée, et, quand les puissances exigent que le Japon, se contentant de Formose, restitue Port-Arthur à la Chine, Mutsuhito est le premier à juger que le Japon doit accéder à ce désir. La guerre de 1894-95 a montré que, dans l'audace comme dans la prudence, Mutsuhito est un véritable souverain ; elle a montré aussi que son instinct ne l'avait pas trompé : l'union du père, des aïeux et de tous les enfans, la guerre l'a pendant quelques mois réalisée.


La victoire, en préparant l'unité morale du Japon, dont la Révolution n'avait réalisé que l'unité matérielle, avait fait des Japonais un autre peuple. Après deux cents ans d'isolement, après quarante ans d'échecs et d'épreuves, ils avaient passé la mer, conquis d'immenses contrées, imposé au monde le respect de leur force, et maintenant, leur confiance en eux-mêmes retrouvée, ils se sentaient prêts à faire de grandes choses dans tous les genres d'entreprises. Tandis que la littérature et les arts témoignaient d'une vie nouvelle, que de jeunes savans élevés en Europe se montraient par leurs découvertes les égaux de leurs maîtres, c'est par milliers que se créaient les sociétés industrielles et commerciales ; la Chine versait une indemnité d'un milliard, enfin le Japon allait posséder ce capital premier, dont l'absence avait toujours arrêté ses efforts. Mutsuhito, sagement inspiré par Matsukata, comprit que cette ardeur bien dirigée, que l'indemnité bien employée pouvaient transformer son pays, mais que, pour atteindre à ce but, il fallait de l'ordre et même de la sévérité. Tous devaient s'inspirer de cette idée que les victoires, l'indemnité, l'ardeur générale ne devaient pas