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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/421

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rompre la coalition des forces qui l'avaient jusqu'alors arrêté ; quand il n'aurait plus en face de lui qu'un seul ennemi, il aurait recours à la guerre.

Le programme tracé, Mutsuhito résolut de lui subordonner toute sa politique : sa politique extérieure d'abord, qui resta patiente jusqu'à l'achèvement complet de la tâche entreprise, et sa politique intérieure, qui, elle aussi patiente, fit aux partis avancés toutes les. concessions nécessaires pour qu'ils votassent les mesures projetées. En effet l'union des cœurs qu'avait faite la guerre avait cessé avec elle. Radicaux et progressistes avaient donné à leurs revendications une nouvelle forme, ils demandaient la constitution anglaise, le droit pour le parti en majorité dans la Chambre basse de constituer le ministère. C'est seulement à force de ruses, de concessions, de flatteries, parfois même de corruption qu'Ito d'abord (1895-96), puis Matsukata (1896-98), puis de nouveau Ito (1898) réussirent à faire accepter par le Parlement les principales dispositions du programme.

De la Chambre l'agitation gagna le pays, le désir de conquérir des libertés inutiles, peut-être même dangereuses, lui fit oublier les dangers que couraient sa grandeur et son indépendance. Ito lui-même perdit le sentiment de la réalité : persuadé que l'empereur confierait toujours le pouvoir aux genro, que, seul des genro, il avait de l'influence sur le Parlement, dans une séance restée historique du Conseil des Anciens, il proposa d'abandonner la présidence du conseil pour fonder un parti politique : il parcourrait, disait-il, le pays en développant son programme ; son succès ne pouvait faire de doute ; vainqueur de l'opposition, il reprendrait le pouvoir sur un vote de la Chambre le désignant à l'empereur. Et comme ses collègues objectaient qu'un ministre désigné par la Chambre, fùt-il Ito lui-même, ne serait plus un ministre choisi par l'empereur, que la réalisation de son projet établirait donc le régime parlementaire et détruirait la prérogative impériale, Ito répondait avec la subtilité d'un Oriental : Non pas, puisque le but même de mon parti sera de défendre cette prérogative, et sa véritable tâche d'empêcher la formation d'un gouvernement de parti. Mutsuhito ne montra ni surprise, ni mécontentement quand se trahit sous cette forme cauteleuse l'ambition d'un ministre, qu'il connaissait bien. Mais Yamagata s'emporta : chaque jour la guerre pouvait éclater, le pays avait besoin de recueillir ses forces