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libéralement, gratuitement, nous serions les premiers à applaudir à leur action ; mais leur force n’a pas été là seulement ; on a eu le tort (le faire d’eux des agens électoraux qui, après avoir été à ce point de vue très précieux, n’ont pas tardé à devenir à beaucoup d’autres dangereux et inquiétans. Leurs prétentions ont grandi en proportion des services qu’ils avaient rendus parce qu’on les leur avait demandés, et on n’a pas tardé à se trouver en face de la force qu’on leur avait donnée. Ils en avaient pris conscience et ils en ont abusé. Après l’avoir employée pour les autres, ils l’ont employée pour eux. Cela devait arriver fatalement : notre surprise est que le corps des instituteurs soit malgré tout resté si sain dans la grande majorité de ses membres. Tout a conspiré à le gâter, les mauvaises mœurs politiques et électorales, les difficultés croissantes de la vie, les détestables exemples qui pullulent partout, enfin l’effacement du gouvernement, qui depuis plusieurs années chez nous a cessé de remplir sa tâche : au lieu d’être le serviteur de la loi, il a été celui d’un parti. Comme M. Guist’hau, M. Poincaré a prononcé une parole toute nouvelle : il a dit qu’il ne voulait pas « avoir l’air d’un gouvernement qui se laissait gouverner. » Ses prédécesseurs n’ont pas eu la même prétention ; ils ont eu de leur dignité un souci infiniment moindre ; ils se sont constamment laissé gouverner, et il leur a été indifférent d’en avoir l’air. Il en est résulté une atmosphère générale où un grand nombre de nos lois ont singulièrement dévié de ce qu’elles étaient en. sortant de la main du législateur : celle de 1884 sur les syndicats professionnels n’est pas la seule qui ait présenté ce phénomène de décomposition spontanée. C’est une grande tâche de réagir contre l’anarchie qui en est résultée : sachons gré au ministère actuel de l’avoir entreprise, au moins partiellement, et de la poursuivre lorsque l’occasion s’en présente.

Au moment où nous écrivons, nous ne pouvons pas dire encore quelle sera l’attitude de tous les syndicats d’instituteurs en présence de l’injonction de se dissoudre qui leur a été transmise par les préfets. Ils ont commencé par affirmer qu’ils ne céderaient pas, qu’ils iraient jusqu’au bout, qu’on verrait bien qui aurait le dernier mot. Leurs premières déclarations ont été très arrogantes. Habitués à voir le gouvernement céder ou se défiler devant eux, ils ont jugé du présent par le passé et ont cru qu’après un moment de mauvaise humeur, le ministère actuel reculerait devant eux comme les autres. M. Guist’hau en serait pour sa circulaire et ce « patron » grognon s’inclinerait bientôt modestement devant la triple majesté des instituteurs, des syndicats