ceci que la législation moderne française n’est nullement, comme l’a prétendu l’école de Le Play et de Taine, une conception abstraite, transmise des philosophes du XVIIIe siècle et de la Révolution au Consulat. En réalité, c’est la vieille sève de la vie nationale qui s’est recueillie elle-même et s’est fixée en se condensant. La Révolution n’a été, en ceci, comme en beaucoup d’autres choses, qu’une phase de l’évolution nationale commencée depuis des siècles.
Le Droit civil français est le fruit de l’expérience d’une très vieille nation, héritière des deux grandes civilisations antiques, voilà le fait. Il exprime la pratique de la vie préférée par des centaines de générations : il est, comme la langue française, le résultat d’un long usage réfléchi. Sur les rapports de l’homme et de la femme dans le mariage, du père et des enfans, des êtres sociaux et des choses utilisées, du capital et du travail, ses décisions ont donc une incomparable autorité.
La plupart des pays anglo-saxons où, malgré l’abondance et l’autorité des hommes de lois, — et peut-être à cause de cela, — la jurisprudence est restée à un état étonnamment médiéval, gagneraient à mieux connaître les principes de la législation française. Ce clair langage, qui est celui du Code civil, jetterait, sur les esprits qui le recevraient avec des sentimens bienveillans et graves, des lumières imprévues.
Voici, d’abord, à la base de toute société, les rapports entre l’individu, les biens et la société elle-même. Tout est dit en deux lignes, mais des plus fortes et des plus pleines de sens qui se puissent écrire : « Article 544. La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlemens. » Ainsi, les trois élémens primordiaux, le droit du propriétaire, l’objet de la propriété, l’ordre social lui-même, sont mis en présence et se pondèrent l’un par l’autre. — « Article 545. Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. » Cette phrase ne résume-t-elle pas la lutte de l’ordre civil contre l’ordre politique ? Le pouvoir politique, indispensable, puisqu’il assure la discipline, — mais violent et passionnel, prétend envahir sans cesse le droit individuel, le droit du travail. Celui-ci trouve sa défense dans le droit civil, plus équitable que la domination des chefs. La thèse et l’antithèse,