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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/607

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caractères physionomiques et individuels que de noter la gamme des émotions humaines. Roger fut grand portraitiste pourtant. On peut voir au musée communal de Bruges un portrait de Philippe le Bon que l’on classe parmi les nombreuses effigies du grand mécène mises au compte de l’atelier de Roger ; l’exemplaire n’est pas le moins attrayant de la série et rappelle que l’Asseuré, — c’est ainsi que les Brugeois qualifiaient leur prince, — distingua d’autres mérites que ceux de son peintre Jean van Eyck.

On sait que le maître de Mérode a cessé d’être Jacques Daret[1] et qu’on reconnaît en lui, en attendant quelque identification nouvelle, le maître de Daret, Robert Campin. Jacques Daret fut tout de même un maître notoire. « Conduiteur de plusieurs autres peintres soulz lui, » des cent trente-six peintres réunis en 1468 à Bruges à l’occasion des noces de Charles le Téméraire et de Marguerite d’York, c’est lui qui toucha les plus gros salaires. Son souvenir se mêle donc à celui d’une incomparable féerie bourguignonne. La personnalité mystérieuse du maître de Mérode s’impose à la mémoire devant une peinture de la cathédrale de Saint-Sauveur : un ensemble des environs de 1500 représentant le Portement de Croix, le Crucifiement, la Déposition de Croix. Faussement attribuée à Gérard van der Meire, l’œuvre est d’un peintre qui, à la veille de la période italianisante, emprunte encore des motifs au maître de Mérode. Le Mauvais Larron de ce dernier (Institut Staedel, fragment d’une vaste Crucifixion détruite) se retrouve dans cet ensemble de Saint-Sauveur ; la tête a changé, mais le dessin du corps, les plaies des jambes sont identiques. La Crucifixion originale se reproduit dans une copie de la Royal Institution de Liverpool où figurent les armes de Bruges. N’est-ce pas de Bruges aussi que provient l’Annonciation de la famille de Mérode ? Quels exemples la grande cité offrait aux artistes qui la visitaient ? L’incomparable conteur anonyme n’a-t-il pas répandu à l’avance dans son Annonciation de Mérode tout le gemüth d’un Bernhard Strigel, toute la grâce intime dépensée par Dürer dans sa Marien Leben[2] ?

Le grand « pourtraiteur » de Louvain, Thierry Bouts, n’est point étranger non plus à l’histoire artistique de Bruges. Son

  1. Cf. notre article de la Revue sur la Peinture wallonne, 15 sept. 1911.
  2. Cf. Docteur Reylaender, Die Eniwicklung des charakleristischen uncl Sittenbildlichen in der Niederländischen Malerei des XV. Jahrhunderts (Tilsitt, 1911).