Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Outremont où sont bâties des villas, parmi des verdures caduques, en ce moment jeunes et fines. La route ne vaut pas les routes de France ; elle est seulement suffisante ; mais nous n’avons pas fait trois milles hors de la ville, que nous nous trouvons en présence de l’obstacle le plus inattendu : une maison en voyage. Oui, une maison en bois, comme elles sont presque toutes à la campagne, de notable largeur, et composée d’un rez-de-chaussée, d’un premier étage et de deux mansardes. Elle a dû se mettre en marche à l’aurore. Elle est solidement assise sur des rouleaux ; les rouleaux peuvent tourner sur des madriers qu’on a disposés sur le chemin, l’un à droite, l’autre à gauche, comme des rails, et l’énorme promeneuse est tirée par une chaîne, qui s’enroule autour d’un treuil, en avant. Quant au treuil, il a été planté, — pouvait-il l’être mieux ? — droit au milieu de la couche de macadam, et un brave cheval, tranquillement, tourne autour du pivot. Notre chauffeur n’hésite pas ; il donne un coup de volant à droite, fait sauter l’automobile sur la banquette d’herbe, coule dans un caniveau, remonte, salue le cheval résigné qui hale la maison, puis il reprend la route et file à bonne allure. La campagne est de sol léger, propre à la culture maraîchère. Je n’aperçois pas une terre en friche, pas un buisson inutile. Mes compagnons me donnent quelques détails sur Saint-Laurent, dont nous approchons.

— 500 feux, dont 150 abonnés au téléphone.

— A quoi sert le téléphone, dans les fermes ?

— Pour les affaires, donc ! Et en hiver, quand on ne peut pas sortir, on fait un bout de causette par le fil. Ce qu’on s’amuse, l’hiver !

Cette note, cette allusion au plaisir de l’hiver, voilà dix fois que je l’entends, depuis le peu de jours que je vis au Canada. J’apprends aussi que la spéculation sur les terrains, qui détruit tout l’ordre des valeurs en abaissant le travail, se porte particulièrement sur cette région où nous sommes. Un nouveau chemin de fer, le Grand Nord, va la traverser. Les compagnies américaines n’acquièrent pas seulement, comme les nôtres, la largeur d’un trait de plume sur le plan cadastral : elles achètent des domaines considérables, qu’elles revendront s’il leur plaît. Presque toutes les fermes de la paroisse de Saint-Laurent ont été cédées ainsi, depuis quelques mois, soit au Grand Nord, soit à des compagnies financières. Tout autour de