Ce fut dans une lettre du 31 décembre 1885 que Léon XIII vint apporter à Bismarck ce tribut de gratitude. Le chancelier de l’Empire avait conquis l’imagination du Pontife. « Nous venons, lui écrivait Léon XIII, vous témoigner notre reconnaissance de ce que vous avez puissamment contribué à nous fournir une occasion des plus favorables d’exercer un si haut ministère dans l’intérêt de la concorde. L’histoire, il est vrai, nous apprend que cette tâche n’est pas nouvelle pour le Saint-Siège, mais il y a longtemps qu’elle ne lui avait pas été proposée, bien qu’il ne soit pas de fonction plus conforme à l’esprit et à la nature du pontificat romain. » Ainsi Léon XIII définissait-il la portée historique de la démarche bismarckienne. La politique internationale de l’Europe, depuis trois siècles et demi, était laïcisée ; la chute du pouvoir temporel des Papes était même apparue comme l’épisode suprême de cette laïcisation. Dans le monde chrétien, coupé en deux par la Réforme, la notion même de chrétienté semblait abolie, le geste et le verdict qu’avait sollicités de Léon XIII le chancelier de l’Empire évangélique se rattachaient, par delà les siècles, aux gestes augustes, aux verdicts bienfaisans, par lesquels la théocratie du moyen âge avait tenté de faire régner la paix. Bismarck, protestant, avait suscité cet archaïsme, si lointain, si oublié des diplomaties contemporaines, qu’on y voyait une nouveauté ; et Bismarck, protestant, n’avait pas craint de se soumettre à l’appréciation que le chef de l’Église voisine émettrait. Cette déférence, aussi, touchait Léon XIII ; et le Pape félicitait le chancelier d’avoir, « libre de toutes préventions, placé sa confiance dans l’impartialité papale. » Cela dit, le Pape évoquait le souvenir des difficultés allemandes.
Votre sagacité politique, déclarait-il, a certainement, — le monde entier le reconnaît, — beaucoup contribue à la création du grand et puissant Empire allemand, et il est naturel que la solidité, la prospérité de cet Empire, fondées sur la force et un bien-être durable, soient le premier objet de vos efforts ; mais il ne peut avoir nullement échappé à votre perspicacité, de combien de moyens dispose le pouvoir dont nous sommes revêtu, pour le maintien de l’ordre politique et social, surtout si ce pouvoir jouit, sans entraves, de toute sa liberté d’action. Permettez-moi donc de devancer en esprit les événemens, et de regarder ce qui a été fait comme un gage de ce qu’amènera l’avenir.
Le Pape terminait sa lettre en décorant de l’ordre du Christ,