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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/813

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18 novembre. — Rion n’est plus plaisant que la conversation dont on m’a rendu compte hier et qui a eu lieu entre Louis-Philippe et le maréchal Maison. Ce fut après dîner que le Roi s’approcha de son ministre de l’extérieur. Le cruel moment était arrivé où il fallait l’instruire de sa chute, et, cependant, le Roi ne savait comment la lui apprendre. La chose était fort délicate, car il fallait donner à entendre au maréchal que son renvoi avait été décidé dans une séance du (conseil à laquelle il n’assistait pas.

Le Roi, avec une mine un tant soit peu sournoise, entama une conversation avec le maréchal, à peu près dans ces termes :

— Je connais, cher maréchal, toute l’étendue du sacrifice que vous m’avez fait en acceptant le portefeuille des Affaires étrangères en échange de la plus brillante ambassade que j’aie pu vous donner... je suis assez heureux aujourd’hui !..

— Oui, sire, interrompit le maréchal, ce sacrifice m’a coûté beaucoup ; mais il doit prouver à Votre Majesté mon dévouement sans bornes et je ferai tout ce qui sera dans mon pouvoir pour me rendre digne de la confiance du Roi ; je me flatte que je réussirai toujours à contenter Votre Majesté, afin de me rendre digne des expressions flatteuses dont elle me comble aujourd’hui.

Cette assurance du maréchal déconcerta complètement le Roi ; mais le temps pressait et, pour en finir, Sa Majesté prit le parti d’aborder franchement la question et il dit au maréchal tout simplement ce dont il s’agissait. Maison tomba de son haut, il ne put cacher son ressentiment contre Sébastiani, et il quitta le Roi rempli de honte et de rage. Il se rendit chez Sébastiani, auquel il dit la vérité de la manière la moins voilée possible et lui déclara ne vouloir plus rien au monde :

— Je me f... de vos ambassades, de votre politique, de vos ministères et de vous tous ; vous m’y avez attrapé une fois, c’en est déjà trop ; je suis un franc militaire, je vide mes questions avec mon épée, je ne connais ni détours, ni feintes, et voilà ce qui m’a fait perdre au jeu avec vous. Messieurs, j’ai l’honneur d’être...

Sur ce, il quitta Sébastiani, qui n’avait pas proféré un mot, et qui riait comme un fou de tout ce qu’il venait d’entendre. Il pensait avec raison que le maréchal, après une nuit de réflexion, serait plus calme et pourrait alors écouter les conseils de celui