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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/830

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pas d’en trouver : ce fut celui de Saint-Germain l’Auxerrois, et, malgré la défensive positive de l’archevêque, cet ecclésiastique promit de célébrer la cérémonie dans sa paroisse. Elle se passa d’abord tranquillement. Mme de Podenas, qui y est restée une des dernières, m’a assuré qu’à deux heures, tout était encore fort calme. Effectivement, ce ne fut que vers trois heures qu’un attroupement considérable se forma devant cette église, sous prétexte que les artistes y avaient couronné le buste de Henri V. Le fait est qu’un garçon, la cérémonie entièrement terminée, avait eu la déplorable idée d’accrocher au drap du catafalque, avec une épingle, une petite lithographie représentant Henri V. La garde nationale s’est portée sur les lieux pour disperser les mutins ; mais elle agissait sans énergie, soit qu’elle ne se trouvât pas en nombre suffisant, soit qu’il ne s’agit que de défendre une église. La populace enhardie devint toujours plus nombreuse et plus exigeante ; elle appela le curé qu’elle voulait tuer ; sa colère tourna contre l’archevêque de Paris et enfin sur tout le clergé. « Mort aux prêtres ! » ou bien : « Mort au roi Louis-Philippe ! » tels furent les cris dont Paris a retenti pendant toute la journée d’aujourd’hui et bien avant dans la nuit.

Le Roi et ses ministres décidèrent qu’il fallait faire des concessions et que, puisqu’on ne peut empêcher le mouvement, il fallait se mettre à sa tête pour le diriger. Voilà ce qui explique la singulière scène dont je viens d’être témoin ce soir avec Félix Schwarzenberg.

Dix heures avaient sonné ; nous nous trouvions sur la place entre le Louvre et Saint-Germain l’Auxerrois ; les quais et les rues qui y aboutissent étaient remplis d’une foule énorme : troupes de ligne, garde nationale et municipale, des curieux, et enfin ces gens à figure sinistre, armés de haches, de gros bâtons, de lances, leur chemise retroussée jusque sur l’épaule, nous montrant un bras nerveux et souvent teint en rouge pour se donner un aspect plus effrayant. Se voyant en force, ils avaient exigé que le maire fit abattre la croix en pierre du fronton. Au moment de notre arrivée, il était sur la plate-forme de l’église, avec des gardes municipaux, des torches à la main pour éclairer quelques ouvriers qui sciaient la croix ; elle tomba avec fracas, et des applaudissemens, des cris de joie éclatèrent et furent répétés dans les voûtes du Louvre.